Art arabe ou arts de l'Islam ? #article

Comment la musique arabe a-t-elle évolué au fil du temps ?

Joueur de oud lors d’un concert en 2015 à l’Institut du monde arabe © IMA/Sidoli
Grâce aux auteurs arabes du Moyen Âge, nous connaissons les pratiques musicales au Moyen-Orient depuis les temps qui précèdent la naissance de l’Islam. La musique reflétait alors le mode de vie en Arabie, celui des nomades comme celui des grands centres urbains. Les qiyan, des esclaves musiciennes, chanteuses, joueuses de oud et danseuses, animaient salons littéraires, fêtes et soirées des membres de l’aristocratie arabe. Certaines, comme Azza et Jamila, furent de grandes artistes, avec leurs propres salons et élèves.

D’après ces textes, le premier genre arabe chanté fut le houda ou chant du chamelier, personnage central de la vie économique de l’Arabie préislamique. Il serait à l’origine des diverses formes de chant qui ont éclos par la suite. Mais les chroniques médiévales nous apprennent également l’existence d’autres types de chants pratiqués à cette époque reculée : le nasb, un chant d’amour et de mariage ; le hazaj, un chant léger pour la danse ; le sinad, un chant de genre sérieux ; le ghina al-rokban, chant des voyageurs… sans oublier les élégies funèbres comme le nadb et le nawh, les chants de guerres et enfin les chants rituels que les pèlerins chantaient autour de la Kaaba.

Depuis toujours, la culture arabe place donc la voix au sommet de l’art musical. L’importance du chant découle de la place majeure accordée à la poésie, symbole de raffinement et d’appartenance à la culture tribale. La musique elle-même était en général désignée par le terme al-ghina (« le chant »). Le mot mousiqi (« musique ») fut introduit dans la culture arabe par les traductions des ouvrages grecs à partir du IXe siècle ; à partir de ce moment, la musique a aussi été considérée comme une science, au même titre que les mathématiques, l’astronomie et la médecine.

Les plus anciens textes traitant de musique remontent au IXe siècle. Ils sont de deux types : les traités théoriques, élaborés par des savants comme al-Kindi, al-Farabi ou encore Avicenne, et les ouvrages historiques et littéraires. Dans ce dernier registre, la plus grande référence connue sur le chant arabe est le Livre des chants (Kitab al-Aghani) dʼAbou al-Faraj al-Esfahani, une encyclopédie en quinze volumes, rédigée sur près de cinquante ans, et couvrant l’histoire de la poésie et de la musique arabes en Orient aux IXe et Xe siècles.

L’art musical arabe a connu son zénith à Bagdad sous la dynastie abbasside (750-1250). Le mécénat de l’aristocratie favorise alors l’éclosion de multiples talents. Chanteurs et compositeurs, hommes ou femmes, distraient les auditeurs et valorisent le pouvoir royal. Deux personnages donnent à la musique ses titres de noblesse, en opérant une synthèse réussie entre les traditions d’Arabie et de Perse : Ibrahim al-Mawsili et son fils Ishaq. D’origine persane, ils ont été les musiciens officiels de plusieurs califes, dont Haroun al-Rachid. L’art et la science des Mawsili ont été consignés dans plusieurs ouvrages comme Les Prairies d’or de Massoudi, Le Collier unique d’Ibn Abd Rabbih, et les Contes des mille et une nuits.

En Espagne, plusieurs musiciens ont œuvré pour la mise en place d’un style musical propre. Le premier et le plus connu est Ziryab, musicien de Bagdad installé à Cordoue en 822, qui a fait voyager la musique d’Orient en Andalousie. On lui attribue l’ajout d’une cinquième corde au luth et l’adoption de la suite musicale en 3 mouvements (nawba). C’est à partir de celle-ci que se développe petit à petit la suite de musique andalouse, encore connue aujourd’hui dans les pays du Maghreb. Au XIIe siècle, le philosophe et musicien Ibn Bajja aurait ajouté à cette suite deux nouveaux mouvements, créant une synthèse entre musique d’Orient et musique hispanique. La musique arabe doit à l’Espagne l’apparition de deux formes poético-musicales qui font toujours parties des traditions maghrébine et orientale : le mouwashah et le zajal, deux poésies destinées à être chantées, l’une en arabe littéral et l’autre en arabe dialectal.

Après la destruction de Bagdad par les Mongols en 1258, puis l’arrivée au pouvoir des Turcs ottomans, la musique arabe trouve refuge dans le système traditionnel des corporations artisanales et au sein des confréries soufies. C’est au sein de ces groupes de mystiques que la musique s’épanouit, dans le cadre des cérémonies de sama (concerts spirituels) et des chants religieux. Plusieurs traditions musicales sont conservées et protégées grâces à ces confréries.

Au cours du XIXe siècle le monde arabe connaît un sursaut identitaire face à la culture ottomane et à la culture européenne, la Nahda. Le patrimoine musical arabe est réhabilité et réinterprété, à la fois par un retour aux traditions anciennes et par l’influence occidentale. Cette réforme, menée par de nombreux artistes, fut couronnée en 1932 par le premier congrès international de musique arabe au Caire. Deux courants musicaux voient alors le jour : l’un est une synthèse des traditions orientales, l’autre s’inspire de la musique européenne. Cela marque l’évolution du langage musical dans l’ensemble du monde arabe jusqu’à nos jours.
Habib Yammine

Pour aller plus loin :

  • La musique arabe, 6 vols., Rodolphe d’Erlanger, Paris : Paul Geuthner, 1959
  • La musique arabe, Simon Jargy, Paris : PUF, 1988
  • La musique arabo-andalouse, Christian Poché, Paris : Cité de la musique, Actes Sud, 1995
  • Musique, chant et instruments , Christian Poché, Qantara : 2008, Voir le site
  • Congrès de musique arabe du Caire, Bibliothèque nationale de France, (18 CD et un livret) 1932, Paris : BNF, 2015, Voir le site
  • Musique classique andalouse de Fès, Ustad Massano Tazi, Paris : Occora, 2988
  • Chants sacrés et profanes de Syrie, Sabri Moudallal premier muezzin d’Alep, Paris : Institut du monde arabe, 1994
  • Algérie, anthologie de la musique arabo-andalouse, Hadj Mohamed Tahar Fergani, 5 CD, Paris : Occora, 1992-1994

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