Existe-t-il une littérature arabe moderne ?
Pour qui veut se faire une idée des sociétés arabes modernes, tant dans leurs réalités matérielles que dans leurs imaginaires, la littérature offre une porte d’accès privilégiée. Aujourd’hui, la plupart des grands textes littéraires arabes modernes sont accessibles en traduction française, ce à quoi il faut ajouter la très riche production des écrivains arabes en d’autres langues : en français (Maghreb, Liban, Égypte autrefois), mais aussi en anglais, ou plus récemment en hébreu, allemand, etc. Quelle meilleure introduction à l’histoire sociale de l’Égypte moderne que l’œuvre prolixe de Naguib Mahfouz, premier et à ce jour seul écrivain arabe à s’être vu décerner le prix Nobel de littérature (1988) ? Comment peut-on comprendre le fait colonial en Algérie sans avoir lu Kateb Yacine, Mohamed Dib ou Assia Djebar ? Qui a su mieux que Mahmoud Darwich, Emile Habibi ou Ghassan Kanafani exprimer le malheur palestinien ?
Cette position privilégiée de la littérature tient au statut de l’écrivain dans sa société. Depuis la Nahda, la « renaissance arabe » qui s’engage au milieu du XIXe siècle, jusqu’à nos jours, l’écrivain arabe, qu’il soit poète, romancier, dramaturge, essayiste ou qu’il passe de l’un à l’autre de ces genres, s’est volontiers représenté comme le porte-parole par excellence de ses compatriotes. Il se considère souvent comme celui qui, par cette compétence particulière qu’est la maîtrise de l’écriture littéraire, serait le mieux à même d’exprimer leur histoire proche et lointaine, leur vécu présent et leurs aspirations.
On peut lire l’histoire de la littérature arabe moderne comme celle d’une réalisation toujours plus poussée, en extension et en profondeur, de cette ambition. En extension, en ce sens que cette littérature, d’abord produite par et pour une élite ayant accès à l’écrit dans quelques centres urbains (Le Caire, Beyrouth, Alep, Tunis, mais aussi Paris ou New York), s’est progressivement diffusée dans l’ensemble de l’aire arabophone et dans des couches sociales de plus en plus larges. Produite et lue par des hommes et des femmes aux origines et aux trajectoires de plus en plus diverses, elle représente aujourd’hui à merveille la diversité des sociétés arabes, du Maroc à l’Irak et à la péninsule Arabique en passant par le Soudan et la Libye.
Réalisation en profondeur aussi de cette ambition de dire au plus près le vécu des hommes et femmes arabes, en ce sens que cette littérature s’est progressivement libérée de la plupart des contraintes – politiques, morales, esthétiques – qui la corsetaient il y a encore moins d’un siècle. La fiction et la poésie arabe d’aujourd’hui ne portent plus seulement la parole traditionnellement dicible dans l’espace public, dans le respect des convenances (adab, en arabe, signifie à la fois « littérature » et « politesse, savoir-vivre »). Elles disent aussi sans fard la brutalité des oppressions de toutes sortes, l’intimité des corps et des relations amoureuses, dans une langue qui, tout en restant généralement conforme à la norme de l’arabe dit littéraire, emprunte de plus en plus volontiers à la langue parlée, dans ses multiples variantes locales. Dans des contextes politiques souvent autoritaires, cette libération de l’écriture est un combat sans cesse renouvelé, dont bien des écrivains arabes ont payé et continuent de payer le prix sous diverses formes, la moindre étant la censure de leurs œuvres. Mais cette censure est toujours provisoire, les écrits interdits dans une capitale arabe ayant le plus souvent réussi à être publiés dans une autre, et la publication en ligne se jouant aujourd’hui de toutes ces barrières.
Richard Jacquemond
Cette position privilégiée de la littérature tient au statut de l’écrivain dans sa société. Depuis la Nahda, la « renaissance arabe » qui s’engage au milieu du XIXe siècle, jusqu’à nos jours, l’écrivain arabe, qu’il soit poète, romancier, dramaturge, essayiste ou qu’il passe de l’un à l’autre de ces genres, s’est volontiers représenté comme le porte-parole par excellence de ses compatriotes. Il se considère souvent comme celui qui, par cette compétence particulière qu’est la maîtrise de l’écriture littéraire, serait le mieux à même d’exprimer leur histoire proche et lointaine, leur vécu présent et leurs aspirations.
On peut lire l’histoire de la littérature arabe moderne comme celle d’une réalisation toujours plus poussée, en extension et en profondeur, de cette ambition. En extension, en ce sens que cette littérature, d’abord produite par et pour une élite ayant accès à l’écrit dans quelques centres urbains (Le Caire, Beyrouth, Alep, Tunis, mais aussi Paris ou New York), s’est progressivement diffusée dans l’ensemble de l’aire arabophone et dans des couches sociales de plus en plus larges. Produite et lue par des hommes et des femmes aux origines et aux trajectoires de plus en plus diverses, elle représente aujourd’hui à merveille la diversité des sociétés arabes, du Maroc à l’Irak et à la péninsule Arabique en passant par le Soudan et la Libye.
Réalisation en profondeur aussi de cette ambition de dire au plus près le vécu des hommes et femmes arabes, en ce sens que cette littérature s’est progressivement libérée de la plupart des contraintes – politiques, morales, esthétiques – qui la corsetaient il y a encore moins d’un siècle. La fiction et la poésie arabe d’aujourd’hui ne portent plus seulement la parole traditionnellement dicible dans l’espace public, dans le respect des convenances (adab, en arabe, signifie à la fois « littérature » et « politesse, savoir-vivre »). Elles disent aussi sans fard la brutalité des oppressions de toutes sortes, l’intimité des corps et des relations amoureuses, dans une langue qui, tout en restant généralement conforme à la norme de l’arabe dit littéraire, emprunte de plus en plus volontiers à la langue parlée, dans ses multiples variantes locales. Dans des contextes politiques souvent autoritaires, cette libération de l’écriture est un combat sans cesse renouvelé, dont bien des écrivains arabes ont payé et continuent de payer le prix sous diverses formes, la moindre étant la censure de leurs œuvres. Mais cette censure est toujours provisoire, les écrits interdits dans une capitale arabe ayant le plus souvent réussi à être publiés dans une autre, et la publication en ligne se jouant aujourd’hui de toutes ces barrières.
Richard Jacquemond
Pour aller plus loin :
- Dictionnaire de littératures de langue arabe et maghrébine francophone, Jamel-Eddin Bencheikh (dir.), Paris : PUF, 2000
- Histoire de la littérature arabe moderne, Boutros Hallaq et Heidi Toelle (dir.), 2 vols., Arles : Actes Sud, Sindbad, 2007-2013
- Entre scribes et écrivains, Le champ littéraire dans l’Égypte contemporaine, Richard Jacquemond, Arles : Actes Sud/ Sindbad, 2003
- Le roman arabe, Kadhim Jihad Hassan, Arles : Actes Sud, Sindbad, 2006
- Littérature, Yves Gonzalez-Quijano, Culture et politique arabes , Voir le site