Le renouvellement de la science arabe #article

Pourquoi l’imprimerie apparaît-elle si tard dans le monde arabe ?

Presse à imprimer d’Abdallah Zakher, diacre melkite, qui installa dans les années 1730 l’une des premières presses à imprimer du monde arabe, dans son monastère de Konchara (Liban) © AKG/Philippe Maillard
L’Islam, dès ses origines, est une civilisation de l’écrit. Elle utilise le papier de manière intensive et connaît la xylographie (technique d’impression sur bois) depuis le Xe siècle. Pourtant, l’imprimerie à caractères mobiles ‒ développée en Allemagne par Gutenberg en 1454 ‒ ne concurrence la production de livres manuscrits dans le monde musulman qu’à partir du milieu du XIXe siècle. Comment expliquer ce paradoxe ?

Plusieurs facteurs concourent au rejet de l’imprimerie par l’Islam. Du point de vue religieux, l’écriture arabe jouit d’un prestige immense, comme outil de transmission de la parole de Dieu, et sa pratique manuscrite possède donc un caractère sacré. Par ailleurs, dans le monde musulman de la fin du Moyen Âge, la transmission du savoir s’effectue grâce à la copie scrupuleuse des textes anciens. Les théologiens, détenteurs de ce savoir, refusent l’imprimerie au nom du respect de la tradition et du maintien de leur autorité. Enfin, le livre manuscrit occupant une place primordiale dans ce système, les copistes ont rapidement formé une puissante corporation (ils sont 80 000 à Istanbul au XVIIe siècle !), fort peu encline à renoncer à ses revenus. Les sultans ottomans Bayazid II (1485) et Sélim Ier (1515) interdisent donc aux musulmans d’imprimer des textes en arabe dans l’Empire.

Les premières impressions en caractères arabes, réalisées en Europe au début du XVIe siècle, sont des ouvrages chrétiens : le plus ancien est un livre de prières melkite, édité en Italie en 1514. L’Église catholique souhaite ainsi renforcer ses liens avec les communautés chrétiennes d’Orient. Le premier Coran imprimé est l’œuvre de Vénitiens, en 1537.

En Orient, au XVIIIe siècle, des imprimeries sont installées à l’initiative de communautés juives et chrétiennes, au Liban et en Syrie, dans des proportions encore modestes. La première typographie faite par et pour des musulmans est réalisée à Istanbul, en 1728 : il s’agit d’un dictionnaire arabe-turc, tiré à plus de 800 exemplaires. Le sultan Ahmet III autorise en effet l’impression d’ouvrages non religieux par des musulmans. Il faut attendre le XIXe siècle et la Nahda (« Renaissance arabe ») pour voir se développer réellement la typographie, au Caire et à Beyrouth. Ces deux villes sont alors à l’origine d’un développement spectaculaire des éditions imprimées et des journaux dans le monde arabe.
Audrey Moutardier

Pour aller plus loin :

  • Le Livre et le Liban jusqu’à 1900, Camille Naguib Aboussouan (dir.), [cat. exp. Paris, UNESCO, 1982], Paris : Unesco, AGECOOP, 1982
  • L’imprimerie dans le monde arabe, L’art du livre arabe, Paris : BNF, 2001 , Voir le site
  • Débuts de l’imprimerie en caractères arabes, Wikipédia, l’encyclopédie libre, version du 9 octobre 2016, Voir le site

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