Le renouvellement de la science arabe #article

Qu’est-ce que la Nahda ?

© IMA
Nahda est un mot arabe que l’on traduit par « éveil », « essor », ou encore « renaissance ». Il désigne une période d’effervescence intellectuelle du monde arabe, entre le début du XIXe siècle et les années 1950. C’est un mouvement de modernisation, qui touche les sphères culturelle, sociale, politique, religieuse et littéraire.

Face à l’Europe des Lumières, et confrontés aux difficultés sociales et politiques de l’Empire ottoman, des intellectuels de langue arabe considèrent que le monde musulman doit à la fois combler un retard, et défendre son identité. Ces penseurs sont de confession chrétienne ou musulmane, originaires de pays du Maghreb et du Moyen-Orient, et ne partagent pas forcément la même conception des réformes à mettre en place.

La langue arabe, dénominateur commun de tous ces penseurs, se voit renouvelée et simplifiée. La littérature et la poésie se libèrent des formes obligées que sont la morale et la didactique. Avec Ghabat al-haqq, le Syrien Francis Marrash signe le premier roman moderne en arabe. Son influence se ressent dans l’œuvre de nombreux écrivains, dont le fameux poète libanais Khalil Gibran. Le Caire et Beyrouth sont alors les principaux foyers littéraires. Le développement de la presse et de l’imprimerie contribuent également à la diffusion des idées de la Nahda. Jorge Zaydan, un écrivain libanais passionné de science et de littérature, fonde au Caire en 1892 al-Hilal, une des plus importante revue et maison d’édition du Levant. Afin d’élever le niveau d’éducation des populations, les États créent des politiques scolaires. L’émancipation des femmes est mise en avant à partir des années 1890. Maryana Marrash, sœur de l’écrivain, est la première femme à écrire dans la presse arabe.

Pour les théoriciens de l’islam, réformer ne signifie pas forcément innover. Il peut s’agir, au contraire, d’un retour au passé. Le persan Jamal al-Din al-Afghani et son disciple égyptien Muhammad Abdouh, tous deux fondateurs du modernisme islamique (« néo-motazilisme »), prônent un retour à l’islam des origines, débarrassé des interprétations ultérieures. Tout en affirmant l’existence du libre arbitre et la compatibilité de l’islam et des sciences rationnelles modernes, ils s’élèvent contre l’imitation servile de l’Occident. Face au colonialisme européen, ils prêchent l’unité politique et religieuse du monde musulman, c’est-à-dire le panislamisme.

Sur le plan politique, la confrontation directe avec les puissances européennes (Napoléon envahit l’Égypte entre 1798 et 1801), et la formation de nombreuses élites turques et arabes en Occident engendrent une ère de réformes dans l’Empire ottoman. Ces tanzimat (« réorganisations »), tendent à la création d’un régime constitutionnel et parlementaire. Le gouvernement, l’administration, l’armée, l’éducation sont réorganisés. Néanmoins, dès 1878, le sultan Abdülhamid II dissout le parlement élu deux ans plus tôt et rétablit un régime autoritaire. Le juriste et journaliste syrien Abd al-Rahman al-Kawakibi analyse le déclin du monde musulman comme la résultante du despotisme turc ottoman. À contre-courant du panislamisme, qui prône l’union de tous les musulmans, il défend l’idée d’un califat arabe. Ce panarabisme est un des fondements du nationalisme arabe.

À la suite de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman est démantelé. Le renouveau politique s’oriente alors vers une critique de l’occupation étrangère et le développement du nationalisme arabe. S’appuyant sur la redécouverte d’un passé médiéval idéalisé, mais aussi sur une vision arabo-centrée de la civilisation islamique, les nouveaux leaders dessinent les contours d’un monde arabe identifié par sa langue. La naissance des États arabes modernes s’inscrit ainsi dans une tension entre une vision du progrès « à l’occidentale » et la revendication d’une identité proprement arabe. L’Égypte du colonel Nasser est le premier pays arabe à conceptualiser le principe d’État-Nation.

Alors que la Nahda a permis un renouveau durable de la langue et de la culture arabes, la modernisation politique reste inachevée. Le nassérisme, comme les régimes fondés par le parti Baath en Syrie et en Irak, se sont avéré des échecs démocratiques. Le panarabisme n’a pas survécu aux intérêts contradictoires des États. Les problèmes économiques, les guerres civiles, le développement d’idéologies extrémistes continuent d’entraver cette région du monde. Néanmoins, en ce début de XXIe siècle, les « Printemps arabes » semblent avoir relancé les débats sur la place et l’identité des sociétés arabes au sein du monde contemporain.
Audrey Moutardier

Pour aller plus loin :

  • Nahda : renaissance culturelle et religieuse, éveil politique dans le monde arabe au XIXème siècle , Tatiana Pignon, Les clés du Moyen-Orient, 2012 , Voir le site
  • Nahda, la Renaissance arabe, Anne-Maure Dupont, Le Monde diplomatique, 2009 , Voir le site
  • Retour sur l’espace intellectuel de la Nahḍa (XVIIIe-XXe siècles) , Peter Hill, Les carnets de l’IFPO, 2014, Voir le site

Partager cet article sur :