Comment l’Europe s’est-elle approprié le savoir grec et arabe au Moyen Âge ?
En 476, l’empire romain d’Occident s’effondre. Progressivement, la culture devient l’apanage d’un cercle restreint de clercs érudits, la langue grecque est oubliée. À l’est, en 529, l’empereur byzantin Justinien ferme les écoles d’Athènes, derniers foyers de culture hellénique.
L’héritage grec n’est pas totalement perdu pour autant : des ecclésiastiques le perpétuent en partie, notamment grâce à la conservation de manuscrits anciens dans les abbayes. Les échanges commerciaux et religieux avec Constantinople font circuler d’autres manuscrits grecs vers l’Europe ; Charlemagne et ses successeurs favorisent dans leurs cours la reviviscence partielle de la culture antique. Certaines abbayes deviennent au XIIe siècle des centres de traduction du grec vers le latin, comme celles de Saint-Gall en Suisse, du Mont-Cassin en Italie, ou encore du Mont Saint-Michel en France.
Des circuits de transmission de la culture antique, internes à la chrétienté, ont ainsi perduré durant le Haut Moyen Âge. Néanmoins, la réappropriation du savoir grec s’est majoritairement faite grâce à la traduction en latin de manuscrits arabes. En effet, la civilisation islamique, de par l’extension de son empire, est héritière de la civilisation antique. Une partie importante des textes de sciences et de philosophie grecs furent traduits en arabe aux VIIIe-IXe siècles, sur commande des califes ou à l’initiative de savants. Ces textes, commentés, parfois corrigés, circulèrent dans tout le monde islamique et contribuèrent à l’essor d’une tradition scientifique en langue arabe.
Dès la fin du Xe siècle, quelques manuscrits arabes parviennent en chrétienté. Sunifred, archidiacre de la cathédrale de Barcelone, fait traduire plusieurs traités d’astronomie ; Gerbert d’Aurillac, futur pape Sylvestre II, découvre les chiffres arabes et la base décimale et contribue à leur introduction en Europe. Mais le grand mouvement de traductions latines s’effectue surtout au XIIe siècle, dans la péninsule Ibérique. À la suite de l’avancée chrétienne en Espagne, de nombreuses bibliothèques musulmanes passent aux mains des souverains chrétiens, qui financent la traduction de manuscrits : les sujets recherchés sont les mathématiques, l’astronomie, l’astrologie, la médecine. Tolède connaît alors une forte activité de traduction, en latin, en hébreu, voire en langues vernaculaires. Gérard de Crémone, au XIIe siècle, est le premier traducteur de l’Almageste de Ptolémée. Il travaille sur les textes d’Aristote, d’Archimède, d’Euclide, mais aussi des mathématiciens et philosophes al-Khwarizmi et al-Kindi. Michael Scot, érudit écossais, vient à Tolède en 1217 et traduit les commentaires d’Averroès sur les ouvrages d’Aristote, bouleversant la hiérarchie chrétienne des savoirs et suscitant des débats passionnés. Une nouvelle tradition scientifique européenne se dessine.
Les ouvrages qui circulent vers l’Europe sont donc à la fois des textes antiques traduits en arabe, des commentaires arabes de textes grecs, et des travaux arabes originaux : les scientifiques du monde arabe n’ont pas joué qu’un rôle de relais du savoir antique. Ils ont apporté un contenu novateur ainsi qu’une approche scientifique ayant pour but de comprendre rationnellement le monde et non seulement de glorifier Dieu. Par ailleurs, on ne peut réellement parler de transmission, dans la mesure où les scientifiques arabes ne sont en général pas venus partager leurs savoirs de plein gré. Il s’agit d’une démarche active d’une poignée d’érudits chrétiens, et donc d’une appropriation répondant à un besoin. Enfin, il est important de distinguer traduction et assimilation. Ces nouveaux savoirs, collectés surtout en Espagne et en Italie aux XIIe et XIIe siècle, sont discutés et intégrés progressivement en d’autres lieux, notamment en France, à Chartres et à Paris.
Au XVe siècle, les savants européens ont voulu retrouver les textes grecs originaux, perdus sous les multiples interprétations arabes puis chrétiennes. Ils sont allés chercher des manuscrits dans tout le monde méditerranéen, à la rencontre d’Aristote ou de Platon dans le texte, donnant son premier élan à la Renaissance humaniste.
Audrey Moutardier
L’héritage grec n’est pas totalement perdu pour autant : des ecclésiastiques le perpétuent en partie, notamment grâce à la conservation de manuscrits anciens dans les abbayes. Les échanges commerciaux et religieux avec Constantinople font circuler d’autres manuscrits grecs vers l’Europe ; Charlemagne et ses successeurs favorisent dans leurs cours la reviviscence partielle de la culture antique. Certaines abbayes deviennent au XIIe siècle des centres de traduction du grec vers le latin, comme celles de Saint-Gall en Suisse, du Mont-Cassin en Italie, ou encore du Mont Saint-Michel en France.
Des circuits de transmission de la culture antique, internes à la chrétienté, ont ainsi perduré durant le Haut Moyen Âge. Néanmoins, la réappropriation du savoir grec s’est majoritairement faite grâce à la traduction en latin de manuscrits arabes. En effet, la civilisation islamique, de par l’extension de son empire, est héritière de la civilisation antique. Une partie importante des textes de sciences et de philosophie grecs furent traduits en arabe aux VIIIe-IXe siècles, sur commande des califes ou à l’initiative de savants. Ces textes, commentés, parfois corrigés, circulèrent dans tout le monde islamique et contribuèrent à l’essor d’une tradition scientifique en langue arabe.
Dès la fin du Xe siècle, quelques manuscrits arabes parviennent en chrétienté. Sunifred, archidiacre de la cathédrale de Barcelone, fait traduire plusieurs traités d’astronomie ; Gerbert d’Aurillac, futur pape Sylvestre II, découvre les chiffres arabes et la base décimale et contribue à leur introduction en Europe. Mais le grand mouvement de traductions latines s’effectue surtout au XIIe siècle, dans la péninsule Ibérique. À la suite de l’avancée chrétienne en Espagne, de nombreuses bibliothèques musulmanes passent aux mains des souverains chrétiens, qui financent la traduction de manuscrits : les sujets recherchés sont les mathématiques, l’astronomie, l’astrologie, la médecine. Tolède connaît alors une forte activité de traduction, en latin, en hébreu, voire en langues vernaculaires. Gérard de Crémone, au XIIe siècle, est le premier traducteur de l’Almageste de Ptolémée. Il travaille sur les textes d’Aristote, d’Archimède, d’Euclide, mais aussi des mathématiciens et philosophes al-Khwarizmi et al-Kindi. Michael Scot, érudit écossais, vient à Tolède en 1217 et traduit les commentaires d’Averroès sur les ouvrages d’Aristote, bouleversant la hiérarchie chrétienne des savoirs et suscitant des débats passionnés. Une nouvelle tradition scientifique européenne se dessine.
Les ouvrages qui circulent vers l’Europe sont donc à la fois des textes antiques traduits en arabe, des commentaires arabes de textes grecs, et des travaux arabes originaux : les scientifiques du monde arabe n’ont pas joué qu’un rôle de relais du savoir antique. Ils ont apporté un contenu novateur ainsi qu’une approche scientifique ayant pour but de comprendre rationnellement le monde et non seulement de glorifier Dieu. Par ailleurs, on ne peut réellement parler de transmission, dans la mesure où les scientifiques arabes ne sont en général pas venus partager leurs savoirs de plein gré. Il s’agit d’une démarche active d’une poignée d’érudits chrétiens, et donc d’une appropriation répondant à un besoin. Enfin, il est important de distinguer traduction et assimilation. Ces nouveaux savoirs, collectés surtout en Espagne et en Italie aux XIIe et XIIe siècle, sont discutés et intégrés progressivement en d’autres lieux, notamment en France, à Chartres et à Paris.
Au XVe siècle, les savants européens ont voulu retrouver les textes grecs originaux, perdus sous les multiples interprétations arabes puis chrétiennes. Ils sont allés chercher des manuscrits dans tout le monde méditerranéen, à la rencontre d’Aristote ou de Platon dans le texte, donnant son premier élan à la Renaissance humaniste.
Audrey Moutardier
Pour aller plus loin :
- La transmission des textes philosophique et scientifiques au Moyen Âge, Marie Thérèse d’Alverny, Aldershot : Variorum, 1994
- La médecine arabe et l'Occident médiéval, Danielle Jacquart, Françoise Micheau, Paris : Maisonneuve, 1990
- Ce que la culture doit aux Arabes d’Espagne, Juan Vernet Gines, Paris : Sindbad, Actes Sud, 2000
- Averroès et l’averroïsme, Alain de Libéra, Maurice-Ruben Hayoun, Paris : PUF, 1991
- Histoire des sciences arabes, Roshdi Rashed, Paris : Seuil, 1997
- La circulation des sciences exactes produites en pays d’Islam vers l’Europe , Ahmed Djebbar, Canalu U, 2009 , Voir le site
- La contribution des Arabo-musulmans au corpus du savoir universel , Ghaleb Bencheikh, 2014, Voir le site