L’islam, une religion d’État dans les pays arabes ?
L’islam est souvent décrit et perçu comme une religion englobant sacré et profane. Cette interprétation se base sur des versets coraniques et des traditions prophétiques, bien que de nombreux autres puissent être utilisés pour prouver le contraire. Quoi qu’il en soit, le développement de l’islam est allé de pair avec la construction politique dès l’époque de Muhammad, puis des premiers califes et de l’établissement d’un « empire » islamique, en servant de dynamique de mobilisation et d’outil de légitimation. De ce fait, l’idée selon laquelle la religion ne pouvait être séparée des affaires de ce monde s’est ancrée dans les esprits.
À ceci s’ajoute le fait que le monde islamique n’a pas connu, dans la période moderne, de mouvement radical d’ouverture intellectuelle puis de sécularisation, comme cela s’est produit en Europe avec la Renaissance aux XVe-XVIe siècles (redécouverte de la littérature, des arts, de la philosophie, des sciences de l’Antiquité) puis les Lumières au XVIIIe siècle (dépassement de l’obscurantisme, des abus étatiques et des intolérances ecclésiastiques en vue de promouvoir les connaissances).
Les « siècles d’or » de la civilisation islamique (IXe-XIIIe siècles) avaient pourtant été d’une extrême richesse, avec l’Irak impérial pour centre, grâce à la revivification de l’héritage scientifique grec. L’Espagne musulmane (VIIIe-XVe siècles) avait aussi été un creuset d’échanges scientifiques féconds. Mais ces expériences tournèrent court et le monde arabe sombra ensuite dans une sorte de léthargie, jusqu’à la « Renaissance arabe » (Nahda) de la fin du XIXe siècle, si ce n’est que ce réveil prit surtout la forme d’un toilettage linguistique puis de velléités de réformes assez conservatrices (mis à part quelques exceptions). À aucun moment, il ne fut question de remettre en cause le rôle prépondérant de la religion dans la vie publique et privée.
Les quelques pistes ouvertes par le cheikh égyptien Muhammad Abdouh (1849-1905), qui tenta de concilier islam et science, puis quelques-uns de ses disciples éclairés (comme Ali Abd al-Raziq, 1888-1966, qui soutint qu’aucune forme politique particulière n’était en soi islamique), furent vite fermées face à de forts courants réactionnaires : wahhabisme en Arabie (dès le XVIIIe siècle) et Frères musulmans en Égypte (dès 1928), les premiers refusant toute remise en cause de la domination de la famille régnante, et les seconds appelant à changer de régime pour revenir aux sources de l’islam telles qu’ils les concevaient, éventuellement par la violence.
À cette vague de fond islamiste s’ajoute le fait que les douloureuses expériences coloniales n’aidèrent pas beaucoup au développement d’élites locales sécularisées. Enfin, outre le conservatisme social, le facteur du sous-développement économique doit aussi être pris en compte dans la prégnance du fait religieux. En dehors de tendances communistes très minoritaires, certains mouvements de libération nationale (comme le FLN algérien) et le panarabisme laissèrent un temps accroire que la question religieuse était secondaire, avant de revenir à des valeurs islamiques pour légitimer des régimes écornés par le monopole autoritaire du pouvoir et les échecs économiques.
L’unique tentative de sécularisation – limitée – est à porter au crédit du parti Baath, fondé en Syrie dans les années 1940 par des chrétiens orthodoxes, des minoritaires musulmans et des sunnites socialisants : dans le préambule de la constitution de 1973, l’islam ne devait plus être que la religion du chef de l’État, et non la religion de l’État. Hormis le cas du Liban, tous les pays arabes considèrent encore peu (Tunisie) ou prou (pays du Golfe) l’islam comme la religion d’État.
Stéphane Valter
À ceci s’ajoute le fait que le monde islamique n’a pas connu, dans la période moderne, de mouvement radical d’ouverture intellectuelle puis de sécularisation, comme cela s’est produit en Europe avec la Renaissance aux XVe-XVIe siècles (redécouverte de la littérature, des arts, de la philosophie, des sciences de l’Antiquité) puis les Lumières au XVIIIe siècle (dépassement de l’obscurantisme, des abus étatiques et des intolérances ecclésiastiques en vue de promouvoir les connaissances).
Les « siècles d’or » de la civilisation islamique (IXe-XIIIe siècles) avaient pourtant été d’une extrême richesse, avec l’Irak impérial pour centre, grâce à la revivification de l’héritage scientifique grec. L’Espagne musulmane (VIIIe-XVe siècles) avait aussi été un creuset d’échanges scientifiques féconds. Mais ces expériences tournèrent court et le monde arabe sombra ensuite dans une sorte de léthargie, jusqu’à la « Renaissance arabe » (Nahda) de la fin du XIXe siècle, si ce n’est que ce réveil prit surtout la forme d’un toilettage linguistique puis de velléités de réformes assez conservatrices (mis à part quelques exceptions). À aucun moment, il ne fut question de remettre en cause le rôle prépondérant de la religion dans la vie publique et privée.
Les quelques pistes ouvertes par le cheikh égyptien Muhammad Abdouh (1849-1905), qui tenta de concilier islam et science, puis quelques-uns de ses disciples éclairés (comme Ali Abd al-Raziq, 1888-1966, qui soutint qu’aucune forme politique particulière n’était en soi islamique), furent vite fermées face à de forts courants réactionnaires : wahhabisme en Arabie (dès le XVIIIe siècle) et Frères musulmans en Égypte (dès 1928), les premiers refusant toute remise en cause de la domination de la famille régnante, et les seconds appelant à changer de régime pour revenir aux sources de l’islam telles qu’ils les concevaient, éventuellement par la violence.
À cette vague de fond islamiste s’ajoute le fait que les douloureuses expériences coloniales n’aidèrent pas beaucoup au développement d’élites locales sécularisées. Enfin, outre le conservatisme social, le facteur du sous-développement économique doit aussi être pris en compte dans la prégnance du fait religieux. En dehors de tendances communistes très minoritaires, certains mouvements de libération nationale (comme le FLN algérien) et le panarabisme laissèrent un temps accroire que la question religieuse était secondaire, avant de revenir à des valeurs islamiques pour légitimer des régimes écornés par le monopole autoritaire du pouvoir et les échecs économiques.
L’unique tentative de sécularisation – limitée – est à porter au crédit du parti Baath, fondé en Syrie dans les années 1940 par des chrétiens orthodoxes, des minoritaires musulmans et des sunnites socialisants : dans le préambule de la constitution de 1973, l’islam ne devait plus être que la religion du chef de l’État, et non la religion de l’État. Hormis le cas du Liban, tous les pays arabes considèrent encore peu (Tunisie) ou prou (pays du Golfe) l’islam comme la religion d’État.
Stéphane Valter
Pour aller plus loin :
- L’Islam et les fondements du pouvoir, Ali Abderraziq, Paris : La Découverte, Le Caire : CEDEJ, 1994
- Penser la laïcité dans les pays arabes, de la Renaissance arabe à nos jours, Belkacem Benzenine, Paris : L’Harmattan, 2014
- The Awakening of Muslim Democracy, Religion, Modernity, and the State, Jocelyne Cesari, Cambridge : Cambridge University Press, 2014
- Nation and religion in the Middle East, Fred Halliday, London : Saqi Books, 2000
- State and Religion in the Arab World, Khair el-Din Haseeb, London, New York : Routledge, 2015
- Géopolitique des islamismes, Anne-Clémentine Larroque, Paris : PUF, 2014
- Religion and Politics in the Middle East, Identity, Ideology, Institutions and Attitudes, Robert D. Lee, Boulder : Westview press, 2010
- Les contours d’une théorie islamique de la séparation de la religion et de l’État , Rives nord-méditerranéennes, 2004, 19, p. 97-106, Voir le site
- L’Islam politique : fin ou début d'un monde - partie 1, IAM, Vidéo, Institut du monde arabe, 2015 , Voir le site
- L’Islam politique : fin ou début d'un monde - partie 2 , IAM, Vidéo, Institut du monde arabe, 2015 , Voir le site
- L’Islam politique : fin ou début d'un monde - partie 3, IAM, Vidéo, Institut du monde arabe, 2015 , Voir le site