Le monde arabe est-il très urbanisé ?
Les cités millénaires ne manquent pas dans le monde arabe. D’Alexandrie à Palmyre, de Bagdad à Sanaa, les villes, qu’elles soient saintes, caravanières ou maritimes, nous renvoient à l’ancienneté et à la richesse de la civilisation urbaine dans cette région du monde. L’actualité, en revanche, renverrait plutôt à sa grande instabilité politique : les quatre villes citées plus haut ont par exemple respectivement été, depuis le début du XXIe siècle, le théâtre d’un soulèvement révolutionnaire, de la barbarie de daesh, de l’intervention militaire américaine et d’une guerre civile soutenue par une coalition régionale.
Entre ces deux représentations dominantes, la ville orientale antique et fantasmée d’une part, et la ville arabe en guerre d’autre part, s’immisce une réalité urbaine plus complexe, plus diversifiée, fruit de la mondialisation et des changements sociaux, économiques et politiques dans le monde arabe.
Les mille et une villes
Un habitant du monde arabe sur deux, comme un habitant de la planète sur deux, vit en ville aujourd’hui. Cet équilibre apparent, qui reflète les effets de l’urbanisation mondialisée, ne doit toutefois pas masquer la grande diversité des situations au sein du monde arabe. Certains pays comptent plus de 90% de citadins : ce sont les pays exportateurs de pétrole (Arabie Saoudite, Emirats du Golfe) qui ont investi énormément dans la croissance urbaine au point d’éclipser les populations rurales et bédouines. Ils ne sont pas comparables aux pays périphériques du monde arabe (Yémen, Soudan, Mauritanie), dont la croissance urbaine a été bien plus tardive. Au Maghreb et au Proche-Orient, l’explosion urbaine des dernières décennies a été spectaculaire sous l’effet de l’exode rural et des migrations régionales dues aux crises irakienne, libyenne et syrienne. La croissance, au-delà des capitales souvent surpeuplées (20 millions d’habitants au Caire par exemple), touche de plus en plus les villes secondaires (de Constantine à Suez), dans lesquelles peuvent se lire les indices de l’urbanisation du monde arabe de demain.
Dualités urbaines
Les orientalistes ont longtemps considéré les villes arabes sous l’angle de la dualité : d’un côté, la ville ancienne, indigène, dite « arabo-islamique » et caractérisée par des tissus urbains complexes et un rôle central du souk et de la mosquée ; de l’autre, en opposition, la ville moderne, coloniale, marquée par de grandes percées à l’architecture fonctionnelle et hygiéniste. Aujourd’hui, cette dualité est moins évidente. Il s’en est formé une autre, qui oppose les espaces de l’urbanisme de grands projets, aménagés sur fonds privés, et les zones d’habitat informel, abritant une part de plus en plus importante de la population urbaine (15% à Amman, 30% à Djedda, 60% au Caire). Cette nouvelle dualité marque le désengagement des pouvoirs publics de l’aménagement urbain, entre privatisation d’un côté et laisser-faire de l’autre. La multiplication des villes nouvelles, sur le modèle de Dubaï, un peu partout dans le monde arabe, symbolise l’essor de l’urbanisme néolibéral basé sur la compétitivité internationale et la ségrégation des populations. La progression de l’urbanisation informelle constitue quant à elle une réponse apportée par les classes populaires aux défaillances des politiques publiques. Elle doit aussi être vue comme une façon d'accéder aux ressources urbaines pour des habitants souvent privés de droits élémentaires.
Cités rebelles
L’embrasement des places publiques en 2011, à Tunis, Tripoli, Le Caire, Sanaa et Manama, a fourni une image différente des villes arabes : celle de sites privilégiés de mouvements de contestation des ordres établis. Au-delà du seul aspect politique, l’expression de la révolte sur les murs des villes à l’aide de graffitis devenus célèbres en Égypte, la reprise en main de la gestion des quartiers par des comités populaires auto-constitués (en Égypte mais aussi en Libye et en Syrie), ou encore la revendication d’un « droit à la ville » portée par des associations d’habitants et d’architectes politisés, dessinent les contours d’une nouvelle culture urbaine à l’œuvre dans la région. La répression ou les conflits qui ont fait suite aux « printemps arabes » ne pourront pas effacer totalement ces dynamiques révolutionnaires, qui ont permis un temps aux citoyens du monde arabe de se réapproprier radicalement les villes qu’ils habitent.
Roman Stadnicki
Entre ces deux représentations dominantes, la ville orientale antique et fantasmée d’une part, et la ville arabe en guerre d’autre part, s’immisce une réalité urbaine plus complexe, plus diversifiée, fruit de la mondialisation et des changements sociaux, économiques et politiques dans le monde arabe.
Les mille et une villes
Un habitant du monde arabe sur deux, comme un habitant de la planète sur deux, vit en ville aujourd’hui. Cet équilibre apparent, qui reflète les effets de l’urbanisation mondialisée, ne doit toutefois pas masquer la grande diversité des situations au sein du monde arabe. Certains pays comptent plus de 90% de citadins : ce sont les pays exportateurs de pétrole (Arabie Saoudite, Emirats du Golfe) qui ont investi énormément dans la croissance urbaine au point d’éclipser les populations rurales et bédouines. Ils ne sont pas comparables aux pays périphériques du monde arabe (Yémen, Soudan, Mauritanie), dont la croissance urbaine a été bien plus tardive. Au Maghreb et au Proche-Orient, l’explosion urbaine des dernières décennies a été spectaculaire sous l’effet de l’exode rural et des migrations régionales dues aux crises irakienne, libyenne et syrienne. La croissance, au-delà des capitales souvent surpeuplées (20 millions d’habitants au Caire par exemple), touche de plus en plus les villes secondaires (de Constantine à Suez), dans lesquelles peuvent se lire les indices de l’urbanisation du monde arabe de demain.
Dualités urbaines
Les orientalistes ont longtemps considéré les villes arabes sous l’angle de la dualité : d’un côté, la ville ancienne, indigène, dite « arabo-islamique » et caractérisée par des tissus urbains complexes et un rôle central du souk et de la mosquée ; de l’autre, en opposition, la ville moderne, coloniale, marquée par de grandes percées à l’architecture fonctionnelle et hygiéniste. Aujourd’hui, cette dualité est moins évidente. Il s’en est formé une autre, qui oppose les espaces de l’urbanisme de grands projets, aménagés sur fonds privés, et les zones d’habitat informel, abritant une part de plus en plus importante de la population urbaine (15% à Amman, 30% à Djedda, 60% au Caire). Cette nouvelle dualité marque le désengagement des pouvoirs publics de l’aménagement urbain, entre privatisation d’un côté et laisser-faire de l’autre. La multiplication des villes nouvelles, sur le modèle de Dubaï, un peu partout dans le monde arabe, symbolise l’essor de l’urbanisme néolibéral basé sur la compétitivité internationale et la ségrégation des populations. La progression de l’urbanisation informelle constitue quant à elle une réponse apportée par les classes populaires aux défaillances des politiques publiques. Elle doit aussi être vue comme une façon d'accéder aux ressources urbaines pour des habitants souvent privés de droits élémentaires.
Cités rebelles
L’embrasement des places publiques en 2011, à Tunis, Tripoli, Le Caire, Sanaa et Manama, a fourni une image différente des villes arabes : celle de sites privilégiés de mouvements de contestation des ordres établis. Au-delà du seul aspect politique, l’expression de la révolte sur les murs des villes à l’aide de graffitis devenus célèbres en Égypte, la reprise en main de la gestion des quartiers par des comités populaires auto-constitués (en Égypte mais aussi en Libye et en Syrie), ou encore la revendication d’un « droit à la ville » portée par des associations d’habitants et d’architectes politisés, dessinent les contours d’une nouvelle culture urbaine à l’œuvre dans la région. La répression ou les conflits qui ont fait suite aux « printemps arabes » ne pourront pas effacer totalement ces dynamiques révolutionnaires, qui ont permis un temps aux citoyens du monde arabe de se réapproprier radicalement les villes qu’ils habitent.
Roman Stadnicki
Pour aller plus loin :
- Places marchandes, places migrantes dans l'espace saharo-sahélien , Martine Drozdz, Géoconfluences, 2005 , Voir le site
- Dubaï, territoire d'un nouveau type dans le monde arabe , Sylviane Tabarly, Géoconfluences, 2005 , Voir le site
- Politiques urbaines et inégalités en Méditerranée , Les cahiers d’EMAM, 2015 , Voir le site
- La ville et le commerce , Qantara, 2008 , Voir le site
- Intervention des Rendez-vous de l’histoire du monde arabe, sur le thème « la ville arabe », 2015, Voir le site