La modernité #article

Y a-t-il encore des nomades dans le monde arabe ?

Occupés aux trois quarts par les steppes et déserts du Sahara et d’Arabie, les pays arabes ont longtemps été parcourus par des populations nomades : guerriers en quête de butin ; éleveurs de dromadaires à la recherche de pâturages rares et fugaces ; chameliers connaissant parfaitement les pistes, les puits et les oasis pour commercer d’une rive à l’autre du désert. Muhammad n’était-il pas lui-même organisateur de caravanes avant d’émigrer à Médine pour y établir le premier sanctuaire de l’islam ? Dès lors, l’Islam « issu du désert », mais « sortant du désert » pour conquérir le monde, « s’urbanise », et les nomades se retrouvent peu à peu marginalisés et dénigrés. Le nomade devient au fil des siècles un personnage « fruste et pilleur », « destructeur de civilisations », à l’image du mythe des hordes hilaliennes déferlant sur le Maghreb du XIe siècle. Pour l’historien arabe Ibn Khaldoun (XIVe siècle), le monde nomade (oumran badawi) s’oppose définitivement au monde sédentaire (oumran hadari), et le « bédouin », homme de tribu, à celui de la cité et aux pouvoirs centraux.

Le nomadisme disparaît en partie au XXe siècle : motorisation des échanges et transformation des économies bouleversant le commerce caravanier ; volonté des puissances coloniales et des États indépendants de contrôler les territoires et les frontières, et d’intégrer les populations ; essor du salariat et de la scolarisation ; crises climatiques ; tout concourt à sédentariser les nomades. Ils étaient 57% en Jordanie en 1925, mais plus qu’une petite minorité en 1990 ; 22 000 en Tunisie en 1956, mais à peine un millier en 1984 ; 75% en Mauritanie en 1960, mais 5,1% en 2000. Si les tentes se dressent toujours le long des routes ou dans les cours des maisons, elles ne sont plus démontées et le nomade s’est reconverti : militaire ; guide touristique ou contrebandier pour sa connaissance des pistes ; éleveur de petit bétail devenu berger des citadins. Entre les nouvelles localités, les terres de mouvance nomade ont fait place à un no man’s land, prisé des touristes… ou des terroristes.

Du nomade sédentarisé, il reste pourtant une empreinte : la transposition en milieu urbain de l’organisation tribale et la multiplication de quartiers fondés sur les liens de parenté.
Vincent Bisson

Pour aller plus loin :

  • Le nomade, l’oasis et la ville, Jean Bisson (dir.), fascicule n°20, Tours : Urbama, 1989.
  • Mythes et réalités d’un désert convoité : le Sahara, Jean Bisson, Paris : L’Harmattan, 2003
  • Steppes d'Arabies, États, pasteurs, agriculteurs et commerçants : le devenir des zones sèches, Ricardo Bocco, Ronald Jaubert, Françoise Métral (dir.), Paris : PUF, Genève : Cahiers de l'IUED, 1993
  • Tribus, tribalismes et États au Moyen-Orient. Monde arabe, Maghreb-Machrek, Ricardo Bocco, Christian Velud (dir.), n°147, Paris : La Documentation Française, 1995.
  • Horizons nomades en Afrique sahélienne, sociétés, développement et démocratie, André Bourgeot (dir.), Paris : Karthala, coll. "Hommes et sociétés", 1999

Partager cet article sur :