Le défi de la jeunesse #article

Le monde arabe parvient-il à éduquer sa jeunesse ?

Des écolières travaillant à la bibliothèque à Oran © Rambaud/IMA
Pour de nombreux pays arabes, une des priorités les plus sensibles au lendemain des indépendances est de répondre aux besoins de scolarisation et de formation. En effet, même si la croissance de la population a été ralentie dans les dernières décennies, les jeunes de moins de 25 ans représentent une très large part des habitants du monde arabe : jusqu’à 66% de la population au Yémen ; 42 % en Tunisie ; 51% en Égypte, etc. La démocratisation de l’enseignement relève dès lors du défi.

Les gouvernements cherchent généralement à mettre en place des systèmes d’éducation et d’enseignement nationaux, afin de créer une base de développement économique et social. Si le budget réservé à l’éducation peut être important (5% du revenu des pays en moyenne) et permet d’atteindre des objectifs de scolarisation massive, les efforts semblent néanmoins insuffisants au regard des évaluations et classements internationaux. L’Unesco classe les systèmes éducatifs des pays arabes parmi les plus bas du monde, du point de vue des critères liés à l’acquisition des connaissances de base d’écriture et de calcul : en 2013, l’Égypte est classée au dernier rang pour la qualité de l’enseignement primaire, juste après le Yémen. L’Algérie et la Libye figurent respectivement en 131e et 132e position, sur 148 pays.

Le taux d’alphabétisation des adultes s’est amélioré et s’élève à une moyenne de 80 % dans la région. Mais ce chiffre ne rend pas compte de contrastes importants, à la fois entre les pays et à l’intérieur de chacun d’entre eux. En Irak, l’analphabétisme touche plus du tiers de la population à certaines périodes ! À Bahreïn ou en Jordanie, peu d’enfants quittent la scolarité précocement, mais seuls deux sur trois réussissent le passage du primaire au secondaire en Tunisie et en Algérie. Ainsi, tout en étant alphabétisés, leur niveau d’éducation reste faible, et l’accès à un emploi qualifié est compromis. Les inégalités entre les sexes sont également très fortes, et variables selon les pays. Les territoires autonomes palestiniens, Bahreïn, la Jordanie, le Liban et les Émirats arabes unis atteignent la parité dans les taux de scolarisation mais le taux d’analphabétisme des femmes représente 77% en Irak, 76% au Yémen, 65% au Maroc, 71% en Mauritanie.

Comment expliquer cette situation ? Plusieurs facteurs peuvent être mis en avant. Le premier, d’ordre historique, tient au legs de la colonisation. Les populations « indigènes » ont été largement exclues des systèmes éducatifs coloniaux : en Algérie, en 1962, seul un « Français musulman » sur cinq (6-13 ans) est scolarisé. Le manque de cadres qualifiés rend difficile la mise en place de systèmes éducatifs nationaux opérants à l’indépendance. Une deuxième explication tient à la forte croissance de la population : malgré la chute du taux de fécondité récemment enregistrée, le nombre d’enfants d’âge scolaire est chaque année plus important, ce qui rend la gestion du système éducatif difficile. Les classes surchargées compromettent la qualité de l’enseignement, d’autant que souvent, les méthodes pédagogiques utilisées reposent seulement sur l’apprentissage par cœur. De forts enjeux idéologiques (nationalisme, arabisation, éducation religieuse) pèsent aussi sur les programmes, et priment parfois sur les savoirs. Enfin, les guerres et conflits fragilisent la mission pédagogique, ou la rendent secondaire, de même que les situations de pauvreté qui touchent une partie des populations.

Face à cette situation, de plus en plus de familles se tournent vers l’enseignement privé ou étranger lorsqu’elles en ont les moyens, voire envoient leurs enfants étudier hors de leur pays. Le secteur éducatif est généralement en crise. Plusieurs pays ont toutefois engagé des réformes importantes : c’est le cas en Jordanie, au Koweït, ou encore en Algérie où on met en place de nouveaux programmes et de nouvelles approches éducatives pour moderniser l’ancien système. À Dubaï, la jeune Fondation « Mohamed Ben Rachid Al-Maktoum », dotée de plusieurs milliards de dollars, a pour but de promouvoir les recherches en matière de développement de l’éducation dans le monde arabe.
Mounira Chariet

Pour aller plus loin :

  • The Politics of Education Reform in the Middle East, Self and Other in Textbooks and Curricula, Samira Alayan, Achim Rohde, Sarhan Dhouib (éd.), New York, Oxford : Berghahn Books, 2012
  • Teaching and learning in the Arab world, Christina Gitsaki (éd.), Bern, New York : P. Lang, 2011
  • Dans les mutations du monde arabe, le salut vient-il de l’éducation ? , Salim Daccache, Savoirs ENS, 2016, Voir le site
  • La qualité de l’éducation dans le monde arabe : ‘peut mieux faire’ , Mourad Ezzine, 2012, Voir le site
  • L’éducation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Banque mondiale, 2014, Voir le site
  • Rapport mondial de suivi sur l’éducation, UNESCO, Voir le site
  • Statistiques de la Banque mondiale sur l’éducation, Voir le site

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