Comment les califes abbassides de Bagdad ont-ils gouverné le monde islamique ?
Après la mort de Muhammad en 632, la question de sa succession à la tête de la jeune communauté des musulmans agite les esprits pendant une trentaine d’années. C’est finalement l’une des grandes familles arabes, les Omeyyades, qui prend le pouvoir et le titre de calife. Elle installe sa capitale à Damas, ancienne cité majeure de l’empire byzantin.
Mais au milieu du VIIIe siècle, la légitimité des Omeyyades est remise en cause. Plusieurs batailles ont lieu jusqu’à leur disparition, en 750. Une nouvelle dynastie prend alors le relais, celle des Abbassides. Ces derniers tiennent ce nom de leur ancêtre éponyme, al-Abbas ibn Abd al-Mouttalib, un des oncles paternels du Prophète. Les Abbassides se proclament califes à Koufa, en Irak, au nom des droits de la famille « bénie » du Prophète. En faisant de l’Irak le nouveau centre névralgique de l'empire islamique, la seconde dynastie de l’Islam reprend à son compte l’héritage de l’Empire perse sassanide, disparu un siècle plus tôt sous les coups des envahisseurs musulmans. C’est un changement fondamental : jusqu’ici, l'héritage de l’Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin) primait.
Dès 762, le second calife abbasside, al-Mansour, fonde sur le lieu-dit de Bagdad, en Irak, une nouvelle capitale : madinat al-salam, la « ville de la paix ». Comme leurs prédécesseurs omeyyades, les premiers califes abbassides engagent une véritable centralisation de l'État et se présentent comme les « ombres de Dieu » sur terre, en reprenant à leur compte le titre de khalifat Allah (« Vicaire de Dieu »).
Au tournant des VIIIe-IXe siècles, sous le règne du fameux Haroun al-Rashid (786-809), l'empire abbasside connaît son apogée : il domine un espace immense, compris entre la Méditerranée à l’ouest et l’Indus à l’est. Dans la capitale, la « Maison de la sagesse » (bayt al-hikma) accueille des savants et des manuscrits venant de tout le monde connu. Les arts connaissent un essor sans précédent : précieuses céramiques à reflets métalliques, stucs et peintures murales des palais de Samarra, et, plus tard, riche production de manuscrits illustrés. Ce n’est pas un hasard si les Mille et Une Nuits placent leur action dans cet âge d’or. Les bateaux et les caravanes font la liaison avec des mondes lointains : Chine, Inde, Europe. Politiquement, quelques éléments nuancent ce tableau idyllique : certains territoires du monde islamique échappent au contrôle des Abbassides, comme la province d’Espagne, et des révoltes éclatent, notamment de la part des Alides, descendants du Prophète par Ali et Fatima. L’une d’elle aboutit d'ailleurs à la création d'un État indépendant au Maroc.
La fin du règne de Haroun al-Rashid constitue une césure. Outre le fait qu’une guerre civile oppose ses deux fils entre 809 et 813, le IXe et surtout le Xe siècles, se caractérisent par l’affaiblissement du pouvoir central et l’influence grandissante de l'armée. De nombreux gouverneurs locaux, qui détiennent le pouvoir au nom du calife abbasside règnent désormais de manière autonome : c’est par exemple le cas en Tunisie et en Iran. Le calife abbasside doit aussi composer avec deux califats concurrents : le califat chiite des Fatimide en Égypte et le califat omeyyade de Cordoue, en Espagne. Il perd même la réalité du pouvoir à partir de 945, au bénéfice d’une dynastie iranienne, puis des sultans turcs seldjoukides. Ceux-ci conservent sur le trône du califat un souverain fantoche, mais dirigent directement l'armée et lèvent les impôts. En théorie, le califat reste toutefois effectif et la caution symbolique du calife n’a rien perdu de son prestige. Ainsi, à la mort du dernier calife fatimide en 1171, Saladin, qui s’établit sur le trône d’Égypte à cette occasion, ne manque pas de faire dire le sermon du vendredi (khotba) au nom du souverain abbasside.
Le califat abbasside disparaît définitivement au XIIIe siècle, à la suite des invasions mongoles qui bouleversent durablement le monde islamique. En 1258, Bagdad est détruite et la famille abbasside massacrée. Les Mamelouks, qui parviennent à vaincre les Mongols à la bataille de Ain Jalout (1260), prennent le pouvoir en Syrie et en Égypte. Ils hébergent dans la citadelle du Caire un rescapé des Abbassides afin de légitimer leur pouvoir, mais cette fiction de calife ne peut masquer la réalité : le califat abbasside a bien disparu dans l’incendie de la grande capitale de Bagdad quelques années plus tôt.
Hassan Bouali
Mais au milieu du VIIIe siècle, la légitimité des Omeyyades est remise en cause. Plusieurs batailles ont lieu jusqu’à leur disparition, en 750. Une nouvelle dynastie prend alors le relais, celle des Abbassides. Ces derniers tiennent ce nom de leur ancêtre éponyme, al-Abbas ibn Abd al-Mouttalib, un des oncles paternels du Prophète. Les Abbassides se proclament califes à Koufa, en Irak, au nom des droits de la famille « bénie » du Prophète. En faisant de l’Irak le nouveau centre névralgique de l'empire islamique, la seconde dynastie de l’Islam reprend à son compte l’héritage de l’Empire perse sassanide, disparu un siècle plus tôt sous les coups des envahisseurs musulmans. C’est un changement fondamental : jusqu’ici, l'héritage de l’Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin) primait.
Dès 762, le second calife abbasside, al-Mansour, fonde sur le lieu-dit de Bagdad, en Irak, une nouvelle capitale : madinat al-salam, la « ville de la paix ». Comme leurs prédécesseurs omeyyades, les premiers califes abbassides engagent une véritable centralisation de l'État et se présentent comme les « ombres de Dieu » sur terre, en reprenant à leur compte le titre de khalifat Allah (« Vicaire de Dieu »).
Au tournant des VIIIe-IXe siècles, sous le règne du fameux Haroun al-Rashid (786-809), l'empire abbasside connaît son apogée : il domine un espace immense, compris entre la Méditerranée à l’ouest et l’Indus à l’est. Dans la capitale, la « Maison de la sagesse » (bayt al-hikma) accueille des savants et des manuscrits venant de tout le monde connu. Les arts connaissent un essor sans précédent : précieuses céramiques à reflets métalliques, stucs et peintures murales des palais de Samarra, et, plus tard, riche production de manuscrits illustrés. Ce n’est pas un hasard si les Mille et Une Nuits placent leur action dans cet âge d’or. Les bateaux et les caravanes font la liaison avec des mondes lointains : Chine, Inde, Europe. Politiquement, quelques éléments nuancent ce tableau idyllique : certains territoires du monde islamique échappent au contrôle des Abbassides, comme la province d’Espagne, et des révoltes éclatent, notamment de la part des Alides, descendants du Prophète par Ali et Fatima. L’une d’elle aboutit d'ailleurs à la création d'un État indépendant au Maroc.
La fin du règne de Haroun al-Rashid constitue une césure. Outre le fait qu’une guerre civile oppose ses deux fils entre 809 et 813, le IXe et surtout le Xe siècles, se caractérisent par l’affaiblissement du pouvoir central et l’influence grandissante de l'armée. De nombreux gouverneurs locaux, qui détiennent le pouvoir au nom du calife abbasside règnent désormais de manière autonome : c’est par exemple le cas en Tunisie et en Iran. Le calife abbasside doit aussi composer avec deux califats concurrents : le califat chiite des Fatimide en Égypte et le califat omeyyade de Cordoue, en Espagne. Il perd même la réalité du pouvoir à partir de 945, au bénéfice d’une dynastie iranienne, puis des sultans turcs seldjoukides. Ceux-ci conservent sur le trône du califat un souverain fantoche, mais dirigent directement l'armée et lèvent les impôts. En théorie, le califat reste toutefois effectif et la caution symbolique du calife n’a rien perdu de son prestige. Ainsi, à la mort du dernier calife fatimide en 1171, Saladin, qui s’établit sur le trône d’Égypte à cette occasion, ne manque pas de faire dire le sermon du vendredi (khotba) au nom du souverain abbasside.
Le califat abbasside disparaît définitivement au XIIIe siècle, à la suite des invasions mongoles qui bouleversent durablement le monde islamique. En 1258, Bagdad est détruite et la famille abbasside massacrée. Les Mamelouks, qui parviennent à vaincre les Mongols à la bataille de Ain Jalout (1260), prennent le pouvoir en Syrie et en Égypte. Ils hébergent dans la citadelle du Caire un rescapé des Abbassides afin de légitimer leur pouvoir, mais cette fiction de calife ne peut masquer la réalité : le califat abbasside a bien disparu dans l’incendie de la grande capitale de Bagdad quelques années plus tôt.
Hassan Bouali
Pour aller plus loin :
- Les débuts du monde musulman VIIe-Xe siècle, Thierry Blanquis, Pierre Guichard, Mathieu Tillier, Paris : PUF, 2012
- Ibn Khaldûn et les sept vies de l’Islam,, Gabriel Martinez-Gros, Paris : Actes Sud, 2006.
- Brève histoire des empires. Comment ils surgissent, comment ils s'effondrent, Gabriel Martinez-Gros, Paris : Seuil, 2014
- Le monde musulman du XIe au XVe siècle, Christophe Picard, Paris : Armand Colin, 2014
- Le monde musulman des origines au XIe siècle, Philippe Sénac, Paris : Armand Colin, 2011
- L'État impérial des califes abbassides, Dominique Sourdel, Paris : PUF, 1999
- État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée ? , Tatiana Pignon, Les Clés du Moyen-Orient, 2012 , Voir le site
- Les Abbassides (750-1258), Vanessa Van Renterghem, Qantara, 2008, Voir le site