Damas et Bagdad supplantent Médine #article

Plusieurs califes peuvent-ils régner en même temps dans le monde islamique ?

La Pyxide d’al-Moughira, réalisée en Espagne en 968, est décorée d’une étrange scène de trône à trois personnages. Certains historiens d’art y voient la représentation symbolique des deux califats sunnites, omeyyade et abbasside, entourant le califat chiite des Fatimides. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Hughes Dubois
Depuis sa fondation, l'empire islamique était, exception faite de la période de la seconde guerre civile (680-692), uni sous la bannière d'un seul califat. Successeur de Muhammad, le calife détenait à la fois un pouvoir politique et spirituel sur la communauté des croyants. Tour à tour, Médine sous les califes « bien guidés » (632-661), Damas sous la dynastie omeyyade (661-750), puis Bagdad sous les premiers Abbassides (750-1055), furent les capitales impériales du territoire de l’Islam.

A partir du Xe siècle, toutefois, cette donne politique ne fut plus de mise. La légitimité du pouvoir abbasside fut remise en question par l'apparition de deux califats concurrents, en Égypte et en Espagne. Ceux-ci, considérant la dynastie abbasside comme illégitime, revendiquaient aussi une souveraineté sur l'ensemble du monde islamique.

Le premier, le califat chiite des Fatimides, fut proclamé à Kairouan (Tunisie) en 909, par un certain Oubayd Allah, au nom des droits des descendants de Ali et Fatima, respectivement beau-fils et fille du Prophète. Soutenu par des tribus berbères, Oubayd Allah se proclama « émir des croyants » et soutint qu'il était le premier d'une série d’« imams visibles ».

En réaction, un troisième califat fut proclamé par l’émir omeyyade de Cordoue Abd al-Rahman III, en 929. La famille omeyyade, chassée de Syrie au milieu du VIIIe siècle par les Abbassides, avait en effet trouvé refuge en Espagne et gouvernait cette région depuis 756, sans toutefois revendiquer le titre califal. L'auteur de la Chronique anonyme de Abd al-Rahman III rapporte que ce dernier écrivit une lettre à tous ses gouverneurs, afin de les informer qu'il reprenait le titre jadis porté par ses ancêtres orientaux.

Trois califats se partagèrent donc le monde islamique des Xe et XIe siècles. Ce fut un véritable âge d’or du monde arabe, tant sur le plan intellectuel qu’artistique, avec la construction des cités palatiales de Bagdad et Samarra en Irak, Le Caire en Égypte et Madinat al-Zahra en Espagne. Mais dès le début du XIe siècle, l’Espagne se morcela, et le califat espagnol chuta en 1031. En Égypte, ce fut Saladin qui eut raison du califat fatimide, en 1171. À partir de cette date, à de rares exceptions près comme le califat almohade au Maghreb, il n’y eut plus qu’un seul calife dans le monde islamique. Son pouvoir se réduisit fortement après la chute de Bagdad sous les coups des Mongols en 1258, mais le titre garda un grand prestige.
Hassan Bouali

Pour aller plus loin :

  • Les débuts du monde musulman, Thierry Bianquis, Pierre Guichard, Mathieu Tillier, Paris : PUF, 2012
  • Al-Andalus. Anthologie, Brigitte Foulon, Emanuelle Tixier du Mesnil, Paris : GF Flammarion, 2009
  • L’idéologie omeyyade. La construction de la légitimité du califat de Cordoue (Xe-XIe siècles), Gabriel Martinez-Gros, Madrid : Casa de Velázquez, 1992
  • Pouvoirs en Islam. Xe-XVe siècle , Anneliese Nef, Anne Marie Eddé, La documentation photographique, 2015,1803
  • Le monde musulman du XIe au XVe siècle, Christophe Picard, Paris : Armand Colin, 2014
  • Le monde musulman des origines au XIe siècle, Philippe Sénac, Paris : Armand Colin, 2011

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