L'expansion arabo-musulmane #article

Charles Martel a-t-il réellement arrêté les Arabes à Poitiers ?

À la fin du Moyen Âge, la bataille de Poitiers est déjà utilisée pour magnifier la royauté française. Bataille de Poitiers, Grandes Chroniques de France, v. 1375-1380, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Photo Josse/Leemage
En 732, Charles Martel, duc d'Austrasie – une région correspondant au nord-est de la France – traverse la Loire à l'appel du duc Eudes d’Aquitaine. En effet, les troupes d’Abd al-Rahman al-Ghafiqi, l’un des gouverneurs du royaume musulman établi en Espagne, ravagent la province d’Aquitaine et Eudes ne parvient pas à les arrêter. Alors que les troupes arabo-berbères se dirigent vers la riche abbaye Saint-Martin de Tours, elles rencontrent l’armée de Charles Martel. C’est une défaite pour les musulmans. Le gouverneur trouve la mort au cours de la bataille et ses soldats, découragés par la débâcle, quittent leur camp la nuit venue pour retourner en Espagne.

Les renseignements sur l’événement proviennent essentiellement d’auteurs occidentaux, qui écrivent en latin. Le récit le plus précis est rapporté dans une Chronique mozarabe, datable du VIIIe siècle, soit assez peu de temps après la bataille. Quant aux auteurs arabes médiévaux, ils sont particulièrement avares en informations.

On sait actuellement que la bataille de Poitiers n’était ni la première, ni la dernière incursion arabe au nord des Pyrénées. Le même Abd al-Rahman al-Ghafiqi avait déjà dû reculer à Toulouse, en 721. Un royaume gouverné par des musulmans existe par ailleurs à Narbonne jusqu’en 759 : il résiste aux coups de Charles Martel en 739.
Le lieu précis de la bataille lui-même a fait l'objet de nombreux débats. On a longtemps supposé que celle-ci s'était déroulée aux environs de Poitiers mais deux historiens l’ont récemment située à proximité de l'Abbaye Saint-Martin de Tours.

Malgré ces incertitudes, la bataille de Poitiers devint très rapidement un mythe sous la plume des écrivains du Moyen-Âge. Les Grandes Chroniques de France, achevées en 1274, qualifient Charles de « Martel » car il terrassait ses ennemis avec un marteau. Dès cette époque, l’événement est embelli, pour mettre en valeur la figure du duc comme l’unificateur du royaume de France. Le mythe traverse les âges et atteint son paroxysme au XIXe siècle, dans un contexte d'expansion coloniale où il faut exalter, via des récits fondateurs, la supériorité de l’Occident sur le monde musulman. La Troisième République (1870-1940) en fait un événement fondateur de la nation française.

Même si, depuis, de nombreux historiens ont tenté de ramener la bataille de Poitiers à une dimension plus proche de la réalité, la date de 732 est depuis bien longtemps entrée dans la mémoire collective française.

À la fin du Moyen Âge, la bataille de Poitiers est déjà utilisée pour magnifier la royauté française. Bataille de Poitiers, Grandes Chroniques de France, v. 1375-1380, Paris, Bibliothèque nationale de France. ©Photo Josse/Leemage



Hassan Bouali

Pour aller plus loin :

  • La bataille de Poitiers (octobre 733), Jean Deviosse et Jean-Henry Roy, Paris : Gallimard, 1966
  • La bataille de Poitiers, de la réalité au mythe, Philippe Sénac et Françoise Micheau, dans Mohammed Arkoun (dir), Histoire de l'islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, Paris : Albin Michel, 2006, pp. 7-15
  • Charlemagne et Mahomet. En Espagne (VIIIe-IXe siècles), Philippe Sénac, Paris : Gallimard, 2015
  • La Bataille de Poitiers (732), Christophe Naudin, Histoire-pour-tous, 2012, Voir le site

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