Le monde arabe et l’empire Ottoman #article

Comment les Ottomans ont-ils gouverné le monde arabe ?

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Fondé à la fin du XIIIe siècle, l’Empire ottoman a pour origine géographique l’Anatolie, c’est-à-dire la partie asiatique de l’actuelle Turquie. D’abord petit émirat, cet État gagne progressivement en importance avec des conquêtes territoriales tant en Asie qu’en Europe. En 1453, le sultan Mehmet II conquiert Constantinople ; cette date fondamentale est parfois retenue comme marquant la fin du Moyen Âge européen. Mais c’est à partir du XVIe siècle que l’Empire ottoman connaît son apogée territorial, notamment sous le règne de Soliman le Magnifique. Ses frontières s’étendent alors de l’Autriche à l’Irak et de la Crimée au Maghreb ; le monde arabe représente les deux cinquièmes des terres impériales. Malgré un long déclin, l’Empire connaît une longévité exceptionnelle, puisqu’il n’est définitivement renversé qu’en 1924.

La plus grande partie des territoires arabes est donc sous domination ottomane pendant plusieurs siècles. Ce fait est bien connu pour l’Afrique du nord, où se situaient des ports importants pour la flotte de guerre ottomane. Mis à part le Maroc, qui est formellement indépendant, le reste du Maghreb est placé sous un régime de tutelle dont la teneur peut varier.

Cette situation débute dans la première moitié du XVIe siècle, lorsque les souverains d’Algérie demandent aux Ottomans de les protéger face à l’Espagne. En Tunisie, les frères Arouj et Kahyr al-Din Barberousse, soutenus par l’Empire, s’emparent de Tunis et d’autres villes portuaires. Connus comme « barbaresques », ou pirates musulmans, les deux frères mènent des raids depuis leurs bases africaines et pillent les flottes espagnoles croisant en Méditerranée. Khayr al-Din surtout connaît de grands succès, s’emparant d’Alger, pillant Minorque et dirigeant les villes conquises au Maghreb ; gouverneur d’Alger, il est nommé grand amiral de l’Empire ottoman. À partir de 1587, des pashas (gouverneurs) impériaux sont nommés en Algérie. La situation était quelque peu différente en Tunisie, où l’aristocratie locale avait obtenu plus d’importance ; mais la région finit aussi par passer sous domination ottomane.

La tutelle impériale sur le Maghreb laisse aux provinces une grande autonomie. En Égypte, en Syrie et en Palestine, annexées grâce à la conquête du sultanat mamelouk après la prise du Caire en 1517, les conditions de la domination sont différentes. L’Égypte conserve l’essentiel de ses institutions, tout en étant gouvernée par un pasha. La Palestine et une partie de la Syrie sont, au contraire, totalement intégrées au système administratif, militaire et judiciaire de l’Empire.

L’Empire ottoman favorise les brassages de population et les échanges commerciaux ou culturels. Les formules décoratives créées dans l’atelier impérial d’art du livre sont diffusées jusque dans les villes du littoral maghrébin. Certains ateliers d’Alger ou de Tunis réalisent des textiles dont la forme est appréciée à Constantinople, comme les caftans ; ils utilisent aussi des motifs inventés par les artistes de la cour ottomane. Les régions plus reculées restent cependant hermétiques à ces transferts artistiques. En architecture, l’influence ottomane est bien visible est bien visible dans certains bâtiments, comme la mosquée de Sidi Ali Bishin à Alger, datant de 1662 ou celle de Soliman Pasha au Caire. Aujourd’hui encore, le Maghreb est marqué par certaines formules architecturales ottomanes, comme le montrent le pavillon et le mausolée du président tunisien Habib Bourguiba, construits à partir de 1963.

La mosquée Mohammed Ali au Caire (1828-1848) marque l’influence ottomane sur l’architecture égyptienne. © Ezzat Hisham (CC BY-SA 4.0)


La mémoire de la domination ottomane sur le monde arabe reste vive de nos jours. Après quelques violentes révoltes à la suite de la prise du Caire, les Arabes ont assez bien accepté ce nouveau pouvoir, qui gardait les lieux saints musulmans. Néanmoins, ils n’ont jamais reconnu l’empereur ottoman comme le chef universel de l’islam. Celui-ci était un étranger, dont la langue était le turc, mais dont l’avantage politique était de s’opposer aux européens. Au cours du XIXe siècle toutefois, la réforme des tanzimat, qui tentait de moderniser la structure de l’Empire sur un modèle occidental a été très mal perçue de par son caractère autoritaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux territoires arabes se sont soulevés contre l’Empire au cours de la Première Guerre Mondiale.
Guilhem Dorandeu

Pour aller plus loin :

  • The empire in the city, Arab provincial capitals in the late Ottoman Empire, Jens Hanssen, Thomas Philipp, Stefan Weber, Würzburg : Ergon in Kommission, 2002
  • The Arab Lands in the Ottoman Era, essays in honor of Professor Caesar Farah, Jane Hataway (éd.), Minneapolis : Center for Early Modern History, 2009
  • L’Empire ottoman, XVe-XVIIIe siècles, Frédéric Hitzel, Paris : Les Belles Lettres, 2010
  • Arabs and Young Turks, Ottomanism, Arabism and Islamism in the Ottoman Empire, 1908-1918, Hasan Kayalı, Berkeley, Los Angeles, Londres : University of California Press, 1997
  • Monde ottoman méditerranéen et territoires arabes, Odile Moreau, Istanbul : éditions Isis, 2015
  • Les Ottomans (1281-1924), Eric Delpont, Qantara, 2008, Voir le site
  • Le Moyen Orient arabe sous domination ottomane, Jean-Paul Roux, Clio, 2009, Voir le site
  • XIXe-XXe : le recul territorial de l’empire ottoman , L’histoire , carte, Voir le site
  • La fin des Ottomans, Sylvie Jezequel, Mathilde Damoisel, Vidéo, Arte France, 2015

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