Comment le panarabisme s’est-il développé au XXe siècle ?
Durant la Première guerre mondiale, les Britanniques et les Français avaient instrumentalisé le nationalisme arabe. Dès 1916, ils avaient prévu avec les Accords Sykes-Picot de se partager les dépouilles de l’Empire ottoman dans l’Orient arabe ; cependant, ils avaient aussi envoyé des émissaires – dont Lawrence d’Arabie – auprès des Arabes pour les inciter à se révolter contre l’Empire en échange de la promesse illusoire qu’un grand État arabe indépendant serait créé après le conflit.
Dans les années 1920, en lieu et place du grand État promis, le monde arabe se retrouvait divisé en une multitude de pays dont les frontières étaient dessinées par les puissances occidentales, et qui demeuraient des protectorats de celles-ci. De la frustration engendrée par cette situation allait naître une idéologie : le panarabisme. Mouvement nationaliste, laïc et socialiste, le panarabisme prônait une unification des pays arabes à travers une approche contestataire, rejetant l’impérialisme des Occidentaux et la légitimité des monarchies installées au pouvoir par ceux-ci.
L’avènement au pouvoir de Nasser en Égypte et du parti Baath en Syrie plaça le panarabisme sur les devants de la scène politique durant les années 1950. Avec la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte en 1956, Nasser acquit un prestige considérable auprès de l’opinion publique arabe et s’affirma comme le leader du panarabisme. En 1958, l’Égypte et la Syrie se rapprochèrent pour former la République arabe unie (RAU). Ayant pour capitale Le Caire et présidée par Nasser, celle-ci devait en principe constituer un premier pas dans l’instauration du grand Etat arabe rêvé par les nationalistes panarabes, avec l’espoir que cette union entraînerait des révolutions dans les autres pays arabes, qui viendraient ensuite la rejoindre.
Effectivement, la proclamation de la RAU déclencha des révoltes nationalistes en Irak, au Liban et à Aden. En Irak, la monarchie était d’ailleurs renversée quelques mois plus tard par un groupe d’officiers communistes, nassériens et baathistes, et le nouveau régime de Bagdad annonça son intention de rejoindre prochainement la RAU. La même année, le Yémen du Nord se joignit à l’union égypto-syrienne pour former une confédération appelée les Etats arabes unis.
Mais les dissensions entre nationalistes arabes eurent bientôt raison des idéaux panarabes. L’Irak refusa finalement de rejoindre la RAU. Les Syriens, qui acceptaient mal la prééminence de l’Égypte au sein de l’union, rétablirent leur indépendance en 1961, entraînant la disparition de fait de la RAU. La confédération des États arabes unis, qui de toute façon n’avait jamais été véritablement effective, fut également dissoute à cette occasion.
Les idéologies nassérienne et baathiste continuèrent à cristalliser les revendications nationalistes dans les pays arabes pendant encore quelques années. D’autres pays que l’Égypte, la Syrie et l’Irak basculèrent ainsi dans le camp nationaliste, comme l’Algérie ou la Libye. Mais après l’échec de la RAU, Nasser n’apparaissait plus en mesure d’unifier ces pays et s’employait surtout à promouvoir une solidarité entre eux. Son aura auprès de l’opinion publique fut ensuite nettement entachée par la défaite arabe face à Israël lors de la Guerre des Six jours en 1967.
En Libye, Mouammar Kadhafi renversa le roi Idriss Ier et prit le pouvoir en 1969. Âgé d’à peine 27 ans et admirateur de Nasser, il sembla un temps donner un nouveau souffle au panarabisme. En visite en Libye en 1970, Nasser – qui mourut quelques mois plus tard – présenta d’ailleurs le jeune président libyen comme « le dépositaire du nationalisme arabe, de la révolution arabe et de l’unité arabe ». Entre 1971 et 1973, Kadhafi tenta en vain d’unifier la Libye, l’Égypte et la Syrie au sein de l’Union des Républiques arabes, mais son caractère excentrique – à la fois panarabe, panafricain et panislamiste – poussa rapidement ses partenaires à prendre leurs distances.
S’il eut une influence politique considérable sur le monde arabe, le panarabisme ne fut finalement qu’un rêve porté par Nasser au firmament de sa popularité. Les dirigeants nationalistes arabes étaient en fait trop attachés à leur indépendance et à leur pouvoir pour envisager sérieusement d’unifier leurs pays. Ils s’enfermèrent dans un autoritarisme qui anéantit progressivement l’attractivité de leurs régimes politiques et favorisa l’essor de l’islamisme contestataire dans le monde arabe. Au début du XXIe siècle, Saddam Hussein en Irak, Mouammar Kadhafi en Libye, et Bashar al-Assad en Syrie, apparaissaient comme les derniers héritiers d’une idéologie devenue anachronique.
Keyvan Piram
Dans les années 1920, en lieu et place du grand État promis, le monde arabe se retrouvait divisé en une multitude de pays dont les frontières étaient dessinées par les puissances occidentales, et qui demeuraient des protectorats de celles-ci. De la frustration engendrée par cette situation allait naître une idéologie : le panarabisme. Mouvement nationaliste, laïc et socialiste, le panarabisme prônait une unification des pays arabes à travers une approche contestataire, rejetant l’impérialisme des Occidentaux et la légitimité des monarchies installées au pouvoir par ceux-ci.
L’avènement au pouvoir de Nasser en Égypte et du parti Baath en Syrie plaça le panarabisme sur les devants de la scène politique durant les années 1950. Avec la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte en 1956, Nasser acquit un prestige considérable auprès de l’opinion publique arabe et s’affirma comme le leader du panarabisme. En 1958, l’Égypte et la Syrie se rapprochèrent pour former la République arabe unie (RAU). Ayant pour capitale Le Caire et présidée par Nasser, celle-ci devait en principe constituer un premier pas dans l’instauration du grand Etat arabe rêvé par les nationalistes panarabes, avec l’espoir que cette union entraînerait des révolutions dans les autres pays arabes, qui viendraient ensuite la rejoindre.
Effectivement, la proclamation de la RAU déclencha des révoltes nationalistes en Irak, au Liban et à Aden. En Irak, la monarchie était d’ailleurs renversée quelques mois plus tard par un groupe d’officiers communistes, nassériens et baathistes, et le nouveau régime de Bagdad annonça son intention de rejoindre prochainement la RAU. La même année, le Yémen du Nord se joignit à l’union égypto-syrienne pour former une confédération appelée les Etats arabes unis.
Mais les dissensions entre nationalistes arabes eurent bientôt raison des idéaux panarabes. L’Irak refusa finalement de rejoindre la RAU. Les Syriens, qui acceptaient mal la prééminence de l’Égypte au sein de l’union, rétablirent leur indépendance en 1961, entraînant la disparition de fait de la RAU. La confédération des États arabes unis, qui de toute façon n’avait jamais été véritablement effective, fut également dissoute à cette occasion.
Les idéologies nassérienne et baathiste continuèrent à cristalliser les revendications nationalistes dans les pays arabes pendant encore quelques années. D’autres pays que l’Égypte, la Syrie et l’Irak basculèrent ainsi dans le camp nationaliste, comme l’Algérie ou la Libye. Mais après l’échec de la RAU, Nasser n’apparaissait plus en mesure d’unifier ces pays et s’employait surtout à promouvoir une solidarité entre eux. Son aura auprès de l’opinion publique fut ensuite nettement entachée par la défaite arabe face à Israël lors de la Guerre des Six jours en 1967.
En Libye, Mouammar Kadhafi renversa le roi Idriss Ier et prit le pouvoir en 1969. Âgé d’à peine 27 ans et admirateur de Nasser, il sembla un temps donner un nouveau souffle au panarabisme. En visite en Libye en 1970, Nasser – qui mourut quelques mois plus tard – présenta d’ailleurs le jeune président libyen comme « le dépositaire du nationalisme arabe, de la révolution arabe et de l’unité arabe ». Entre 1971 et 1973, Kadhafi tenta en vain d’unifier la Libye, l’Égypte et la Syrie au sein de l’Union des Républiques arabes, mais son caractère excentrique – à la fois panarabe, panafricain et panislamiste – poussa rapidement ses partenaires à prendre leurs distances.
S’il eut une influence politique considérable sur le monde arabe, le panarabisme ne fut finalement qu’un rêve porté par Nasser au firmament de sa popularité. Les dirigeants nationalistes arabes étaient en fait trop attachés à leur indépendance et à leur pouvoir pour envisager sérieusement d’unifier leurs pays. Ils s’enfermèrent dans un autoritarisme qui anéantit progressivement l’attractivité de leurs régimes politiques et favorisa l’essor de l’islamisme contestataire dans le monde arabe. Au début du XXIe siècle, Saddam Hussein en Irak, Mouammar Kadhafi en Libye, et Bashar al-Assad en Syrie, apparaissaient comme les derniers héritiers d’une idéologie devenue anachronique.
Keyvan Piram
Pour aller plus loin :
- Le Nationalisme arabe, Olivier Carré, Paris : Payot & Rivages, 2004
- Renouvellement du monde arabe, Dominique Chevalier, Paris : Armand Colin, 1987
- Le Proche-Orient éclaté, 1956-2003, Georges Corm, Paris : Gallimard, 2003
- The Decline of Arab unity, the Rise and Fall of the United Arab Republic, Elie Podeh, Brighton : Sussex Academic Press, 1999
- Vie et mort du panarabisme, François Zabbal, Qantara, septembre 2013, 89, p. 38-43, Voir le site
- Le mythe du panarabisme, de la nahda aux printemps arabes, Le courrier du Maghreb et de l’Orient, août 2015 , Voir le site
- Nasser ou le panarabisme, INA, Dossier INA, 2010, Voir le site