Quel est l’héritage politique du monde arabe aujourd’hui ?
Afin de comprendre le monde arabe d’aujourd’hui, il est important de revenir sur la période de l’émergence des États arabes indépendants, à savoir les années 1950-1960. Depuis cette époque, le monde arabe a connu trois phases d’évolution politique, économique et culturelle.
La première phase, qui s’étend du milieu des années cinquante au milieu des années quatre-vingt, est marquée par la généralisation des indépendances. Les nouveaux États arabes qui émergent sur la scène internationale et leur nouvelle élite politique, essentiellement des militaires, sont les porte-étendards du panarabisme. Par cette idéologie, ils affirment une identité à la fois arabe, laïque et moderniste. C’est à cette période que s’imposent les grandes figures de l’autoritarisme arabe : Nasser en Égypte, Hafez al-Assad en Syrie, Saddam Hussein en Irak, Habib Bourguiba en Tunisie, Houari Boumediene en Algérie, Hasan II au Maroc. Dans l’ensemble de la région se met en place un modèle d’État fort, pilier du développement économique et social sur l’ensemble du territoire national. Ce fonctionnement passe par des programmes de planification centralisés, dans les domaines de l’économie et de l’industrie. Il repose aussi sur un contrat social implicite, en assurant notamment la gratuité de l’enseignement et de la santé.
Le début des années 1980 annonce une deuxième phase, marquée par les premières crises économiques liées en partie aux deux chocs pétroliers des années 1970 (le premier en 1973 à la suite de la guerre de Kippour, le second en 1979 après la révolution iranienne). L’endettement d’une grande partie des États de la région rend difficile le maintien du contrat social tel qu’il avait été mis en place dans la précédente décennie. Le manque de diversification économique, parfois dû à l’abondance pétrolière, entrave le développement de certains secteurs d’activité et provoque une chute de la croissance et des investissements, ainsi qu’une augmentation du chômage. Face à cette situation de crise économique, des tentatives d’ouvertures politiques de courte durée ont vu le jour en Égypte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Mais les vieux réflexes autoritaires ont rapidement refait surface : plus de répression au nom de l’ordre et de la stabilité. Les répercussions de la chute du mur de Berlin et les vagues de démocratisation qui ont suivi un peu partout dans le monde n’ont eu que peu d’impact dans le monde arabe.
Cette absence d’ouverture démocratique se combine à une faible croissance économique et à une crise démographique : la population active s’accroît, en particulier celle des jeunes diplômés, mais peu d’emplois viables sont créés. Cela constitue un terreau favorable aux révoltes de ces cinq dernières années. Après l’attentisme qui a caractérisé les populations arabes aux lendemains des indépendances, apparaît aujourd’hui une réelle volonté de peser sur le cours des réformes politiques, de lutter activement contre la corruption et toutes les formes d’injustices, notamment parmi les jeunes générations. Par ailleurs, deux modèles de société semblent être en confrontation dans les pays de la région. D’un côté, le modèle conservateur, notamment défendu par les partis religieux et une frange non négligeable de la population, prône une affirmation plus marquée de l’islam dans la définition de l’identité nationale et les constitutions des États. De l’autre, l’approche moderniste, portée par une grande partie de la société civile, encourage la fin des régimes autocratiques et l’instauration de véritables États de droit, régis par des règles démocratiques clairement définies.
Cette dernière phase rend le monde arabe de plus en plus complexe et diversifié. Beaucoup d’incertitudes demeurent quant à l’issue des événements dans certains pays en situation de guerre civile – Libye et Syrie – ou de transition démocratique – Tunisie, Égypte. Dans tous les cas de figure, le retard accumulé par les États de la région vis-à-vis de leur intégration dans le processus de mondialisation les met au défi, aujourd’hui, de réussir une transformation politique, économique et sociétale afin d’éviter l’implosion sociale.
Khadidja Guebache
La première phase, qui s’étend du milieu des années cinquante au milieu des années quatre-vingt, est marquée par la généralisation des indépendances. Les nouveaux États arabes qui émergent sur la scène internationale et leur nouvelle élite politique, essentiellement des militaires, sont les porte-étendards du panarabisme. Par cette idéologie, ils affirment une identité à la fois arabe, laïque et moderniste. C’est à cette période que s’imposent les grandes figures de l’autoritarisme arabe : Nasser en Égypte, Hafez al-Assad en Syrie, Saddam Hussein en Irak, Habib Bourguiba en Tunisie, Houari Boumediene en Algérie, Hasan II au Maroc. Dans l’ensemble de la région se met en place un modèle d’État fort, pilier du développement économique et social sur l’ensemble du territoire national. Ce fonctionnement passe par des programmes de planification centralisés, dans les domaines de l’économie et de l’industrie. Il repose aussi sur un contrat social implicite, en assurant notamment la gratuité de l’enseignement et de la santé.
Le début des années 1980 annonce une deuxième phase, marquée par les premières crises économiques liées en partie aux deux chocs pétroliers des années 1970 (le premier en 1973 à la suite de la guerre de Kippour, le second en 1979 après la révolution iranienne). L’endettement d’une grande partie des États de la région rend difficile le maintien du contrat social tel qu’il avait été mis en place dans la précédente décennie. Le manque de diversification économique, parfois dû à l’abondance pétrolière, entrave le développement de certains secteurs d’activité et provoque une chute de la croissance et des investissements, ainsi qu’une augmentation du chômage. Face à cette situation de crise économique, des tentatives d’ouvertures politiques de courte durée ont vu le jour en Égypte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Mais les vieux réflexes autoritaires ont rapidement refait surface : plus de répression au nom de l’ordre et de la stabilité. Les répercussions de la chute du mur de Berlin et les vagues de démocratisation qui ont suivi un peu partout dans le monde n’ont eu que peu d’impact dans le monde arabe.
Cette absence d’ouverture démocratique se combine à une faible croissance économique et à une crise démographique : la population active s’accroît, en particulier celle des jeunes diplômés, mais peu d’emplois viables sont créés. Cela constitue un terreau favorable aux révoltes de ces cinq dernières années. Après l’attentisme qui a caractérisé les populations arabes aux lendemains des indépendances, apparaît aujourd’hui une réelle volonté de peser sur le cours des réformes politiques, de lutter activement contre la corruption et toutes les formes d’injustices, notamment parmi les jeunes générations. Par ailleurs, deux modèles de société semblent être en confrontation dans les pays de la région. D’un côté, le modèle conservateur, notamment défendu par les partis religieux et une frange non négligeable de la population, prône une affirmation plus marquée de l’islam dans la définition de l’identité nationale et les constitutions des États. De l’autre, l’approche moderniste, portée par une grande partie de la société civile, encourage la fin des régimes autocratiques et l’instauration de véritables États de droit, régis par des règles démocratiques clairement définies.
Cette dernière phase rend le monde arabe de plus en plus complexe et diversifié. Beaucoup d’incertitudes demeurent quant à l’issue des événements dans certains pays en situation de guerre civile – Libye et Syrie – ou de transition démocratique – Tunisie, Égypte. Dans tous les cas de figure, le retard accumulé par les États de la région vis-à-vis de leur intégration dans le processus de mondialisation les met au défi, aujourd’hui, de réussir une transformation politique, économique et sociétale afin d’éviter l’implosion sociale.
Khadidja Guebache
Pour aller plus loin :
- Pensée et politique dans le monde arabe. Contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècle, Georges Corm, , Paris : La Découverte, 2015
- Moyen-Orient : pouvoirs autoritaires, sociétés bloquées, Philippe Droz-Vincent, Paris : PUF, 2005
- Atlas des pays arabes, des révolutions à la démocratie ?, Mathieu Guidère, Lynne Franjié, Claire Levasseur, Paris : Autrement, 2012
- Le Moyen-Orient au 20e siècle, Henry Laurens, Vincent Cloarec, Paris : Armand Colin, 2005
- Arab Human Development Report 2016, UNDP - United Nations Development Programme, Released 29 November 2016, Voir le site
- Le point de vue de Georges Corm – Les grandes problématiques du Moyen-Orient aujourd’hui, Yara el-Khoury, Les clés du Moyen Orient, 2016 , Voir le site