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De Barberousse à Abd el-Kader : comment s’organise le Maghreb avant la colonisation ?

Détail sur Maghreb sur un portulan de Gabriel Valseca, 1439, Barcelone, musée municipal. © akg-images / Album / Asf
Entré dans le giron de l’Islam au VIIe siècle, lors des premières vagues de conquêtes, le Maghreb a longtemps partagé la destinée d’al-Andalous, l’Espagne islamique, où les armées califales ont pris pied dès 711. Cependant, l’avancée des pouvoirs chrétiens à partir du Xe siècle (la « Reconquista »), fragilise ces liens. Dès le XIVe siècle, des monarques de familles différentes règnent dans les deux ensembles.

Une situation politique dictée par les invasions

En 1492, la chute de la ville de Grenade marque la fin de la présence musulmane en Espagne ; malgré des tentatives européennes pour s’installer aussi de l’autre côté de la Méditerranée, le Maghreb continue, lui, de faire partie intégrante du monde islamique. La région n’est pas encore divisée en trois pays, comme actuellement (Maroc, Algérie, Tunisie), mais plutôt en deux grands ensembles : Le « Maghreb extrême » (maghreb al-aqsa), à l’ouest, et les régions sous domination ottomane, à l’est.

Dès avant 1492, ces deux territoires ont dû faire face à de nombreuses incursions portugaises et espagnoles : plusieurs villes, comme Tanger ou Alger, ont été prises à cette période, et ont fait l’objet d’une occupation européenne pendant plusieurs siècles. Pour certaines, cette particularité est toujours d’actualité : c’est le cas des enclaves de Ceuta et Melilla, qui appartiennent encore de nos jours aux Espagnols. D’autres ont été reconquises par les différents pouvoirs locaux.

Détail sur Maghreb sur un portulan de Gabriel Valseca, 1439, Barcelone, musée municipal. © akg-images / Album / Asf


Au Maghreb extrême, à partir de 1510, une nouvelle dynastie naît d’un appel à la résistance face aux conquêtes portugaises. Ce sont les Saadiens, qui prennent pour capitale Marrakech. Leur sultanat réussit à repousser les Portugais lors de la Bataille des Trois Rois en 1578 et à conquérir l’Empire songhaï, puissance saharienne ; mais il perd en puissance au XVIIe siècle, et se trouve remplacé par une autre dynastie, les Alaouites, qui occupent toujours actuellement le trône du Maroc.

Plus à l’est, une résistance s’organise après la prise d’Alger en 1510. Barberousse, un corsaire originaire de l’île grecque de Lesbos, prend le pouvoir, repousse les Espagnols et demande la protection du sultan ottoman Sélim Ier, qui règne depuis Istanbul sur un immense empire. Un beylicat (ou « régence ») est alors mis en place et un gouverneur turc, le bey, contrôle la région allant de Tlemcen à Constantine. En Tunisie, ces mêmes Ottomans s’emparent de Tunis au XVIe siècle, contre une dynastie locale ; ils créent là aussi un beylicat, qui tend à s’autonomiser au XVIIIe siècle.

Tous ces pouvoirs tombent, au XIXe siècle, sous la coupe du colonisateur français, qui impose alors de nouvelles frontières, et dirige les trois nouveaux pays de manière directe (Algérie) ou indirecte, par le biais d’un protectorat (Maroc, Tunisie).

Des populations très diverses

La complexité de la situation politique dans cette période de l’histoire entraîne des mouvements et des mélanges de population. Depuis bien avant l’arrivée de l’islam, les Berbères constituent l’essentiel des personnes vivant au Maghreb. Ceux qui vivent dans les campagnes et les nomades connaissent souvent l’arabe, mais ils continuent de parler berbère, notamment au Maroc. Ils professent toutefois l’islam, qu’ils mélangent parfois à des croyances préislamiques païennes.

Dans les villes, la langue qui domine est l’arabe, mais les populations sont très diverses : Berbères, Arabes installés là lors des mouvements de conquêtes, « Andalousiens » exilés d’Espagne… Parmi eux, des musulmans, mais aussi des juifs, chassés par les décrets d’Isabelle la Catholique, et qui viennent renforcer une minorité présente depuis des siècles dans le monde maghrébin, composée de petits artisans mais aussi de riches commerçants. Enfin, des Noirs originaires d’Afrique sub-saharienne sont vendus comme esclaves ou servent dans les armées des sultans marocains.

Tous ces peuples travaillent ensemble, dans une économie encore très agricole, mais aussi marquée par la pratique de la piraterie (les fameux « corsaires barbaresques » dépendants des beylicats d’Alger et de Tunis) et du commerce, maritime en Méditerranée et caravanier avec les grandes villes subsahariennes.
Antoine Le Bail

Pour aller plus loin :

  • Le Maghreb, de l’Empire ottoman à la fin de la colonisation française, Yvette Katan Bensamoun, Paris : Belin, 2007
  • Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956), Charles-André Julien, Paris : Jeune Afrique, 1978
  • Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à 1830, Charles-André Julien, Paris : Payot & Rivages, 1994
  • Histoire du Maghreb, Abdallah Laroui, Paris : François Maspero, 1976
  • Tempête sur Alger, l’expédition de Charles Quint en 1541, Daniel Nordman, Saint-Denis : éditions Bouchène, 2011

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