L'écriture arabe #article

Comment l’alphabet arabe est-il né ?

Le plus ancien manuscrit daté écrit en alphabet syriaque : le Traité contre les Manichéens de Titus de Bostra, 411 ap. J.-C., British Library © British Library (domaine public)
L’alphabet arabe n’est pas né avec la langue arabe. Les premières inscriptions en arabe que l’on connaît sont rédigées avec un autre système d’écriture : les alphabets des langues sud-arabiques, syriaque ou nabatéenne.

Langues et alphabets de l’Antiquité

La culture nabatéenne, bien connue grâce au site archéologique de Pétra, dominait la région de l’actuelle Jordanie, du IVe siècle av. J.-C. à la création de la province romaine d’Arabie en 106 ap J.-C. Les Nabatéens parlaient l’arabe ; mais ils utilisaient à l’écrit un dialecte araméen transcrit dans une écriture qui a évolué au fil des siècles. Celle-ci dérivait de l’alphabet araméen, beaucoup plus ancien, utilisé dans les administrations de grands empires moyen-orientaux, et pour noter de nombreuses langues antiques comme l’hébreu.

L’autre langue importante de la région, dans les siècles qui précèdent la naissance de l’islam était le syriaque. Langue sémitique, comme le nabatéen ou l’araméen, il constituait le support d’une riche tradition littéraire depuis le début de l'ère chrétienne. Très diffusé au Moyen Orient, il circulait toujours activement dans les centres de culture moyen-orientaux au moment des débuts de l’écriture arabe, et disposait d’un alphabet particulier. Celui-ci est d’ailleurs toujours utilisé de nos jours par certaines communautés chrétiennes.

Au Sud de la péninsule Arabique, les langues sudarabiques possédaient leur propre système d’écriture, notamment le sabéen qui était encore écrit au VIe siècle de notre ère.

Inscription nabatéenne provenant de Pétra (Jordanie), 10 ap. J.-C., Musée national d’Amman


La mise par écrit d’une langue vernaculaire

Les premières inscriptions en alphabet arabe, d’époque préislamique, ont été retrouvées en Syrie et de Jordanie et datent du Ve siècle. Elles furent réalisées sous la dynastie des Ghassanides, bien que ceux-ci aient utilisé la langue grecque dans des contextes officiels. L’arabe a bénéficié d’un long processus au cours duquel les langues de la région se sont mutuellement influencées, tout en perfectionnant leurs systèmes d’écriture, lorsqu’elles se retrouvaient sur le devant de la scène ou que leur usage se répandait.

La mise par écrit de l’arabe révèle une volonté d’individus de s’exprimer dans leur langue quotidienne. Par exemple, l’inscription du Jabal Usays, datée de 528, a été réalisée par un soldat. Elle témoigne donc d’un certain degré de diffusion de l’écriture, qui n’aurait donc pas été la chasse gardée de professionnels tels que les scribes ou les clercs. C’est en s’appropriant un alphabet qu’ils ne devaient pas totalement maîtriser, et surtout en l’adaptant à leur usage propre que les locuteurs de la langue arabe ont commencé à « arabiser » l’écriture à laquelle ils avaient accès.

L’inscription du Jabal Says peut être transcrite ainsi : Moi, Qaym ibn Moughayra al-Awsi al-Harith le Roi m’a envoyé sur [???] l’an 423


Le choix étrange de l’alphabet nabatéen

L’avis majoritaire parmi les spécialistes est désormais que l’écriture arabe s’est développée à partir de l’alphabet nabatéen plutôt que du syriaque. L’écriture nabatéenne a peu à peu cessé d’être employée pour transcrire l’araméen au profit de la langue arabe. Cependant cette mise par écrit n’a pendant longtemps concernée que des écrits utilitaires, le domaine culturel étant demeuré l’apanage de l’oralité.

Cet alphabet a été adopté bien qu’il possédât un nombre insuffisant de signes pour transcrire les 28 phonèmes de l’arabe. La mise par écrit de l’arabe s’est faite après le déclin et même la disparition des systèmes d’écriture sudarabiques qui possédaient justement 28 lettres. L’usage des points a alors été introduit pour distinguer les lettres s’étant vu attribuer un signe similaire. Cet usage semble être dérivé d’une pratique de l’écriture syriaque. C’est en fait la tradition manuscrite qui a bénéficié de l’héritage du syriaque qu’elle finira par influencer à son tour.

Inscription en alphabet sudarabique sur une stèle du barrage de Marib, au Yémen


L’écriture arabe s’est développée en fonction de la langue qu’elle était censée transcrire, et ce dans ses différents aspects : une langue globale devenue langue d’empire et s’inscrivant peu à peu dans une tradition littéraire, scientifique et juridique, mais une langue toujours diverse dans sa forme orale. L’évolution de la forme est autant le fruit des efforts de fixation de l’orthographe que le témoignage de constantes modifications dans l’idéal esthétique de la société arabo-musulmane. Bien que la culture soit restée dans une très grande mesure orale, l’écriture de l’arabe fut utilisée très tôt pour transcrire le texte coranique. Ainsi, elle facilitait sa mémorisation et sa diffusion ; elle finit par se voir associer sa sacralité. Ce long processus a permis à l’écriture arabe d’accéder au statut d’art. Se répandant grâce à la diffusion du Coran, l’alphabet arabe a été adopté pour transcrire de nombreuses langues : persan, turc au Moyen-Orient ; dans le sous-continent indien l’ourdou ; en Europe : l’aljamiado et le croate ; en Afrique : le berbère, l’haoussa etc.
Ludwig Ruault

Pour aller plus loin :

  • A brief introduction to the Arabic alphabet, its origins and various forms, John F. Healey, G. Rex Smith, Londres : Saqi, 2009
  • Langues et écritures , Christian Robin, Routes d'Arabie, Archéologie et histoire du royaume d'Arabie Saoudite. Paris : Louvre/Somogy, 2010, p. 118-131
  • L’origine de l’alphabet arabe, L’art du livre arabe, BNF, 2001 , Voir le site
  • Des écritures nabatéenne et syriaque aux lettres arabes , L’aventure des écritures, BNF, Voir le site
  • Les origines nabatéenne de l’écriture arabe, Jean-Christophe Loubet del Bayle (éd.) , Typographie et civilisation, 2006 , Voir le site

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