Pourquoi les lettres arabes ont-elles parfois un caractère sacré ?
Muhammad Mortada Zabidi, un savant d’origine indienne vivant au XVIIIe siècle, raconte que les Arabes anciens auraient forgé pour retenir les lettres de l’alphabet une phrase réunissant les noms de six anciens princes arabes qui furent les premiers à mettre la langue arabe par écrit : Abjad, Hawwaz, Houtti, Kalamoun, Saafas, Qarshat. Même s’il s’agit d’une légende, attestée dès le Xe siècle, le terme « abjad » est resté en arabe pour désigner l’ordre originel des lettres de l’alphabet, différent de celui des dictionnaires modernes, mais toujours utilisé dans les pratiques ésotériques et magiques.
L’histoire de l’organisation de l’alphabet arabe est longue et complexe. Les plus anciennes inscriptions en caractères arabes sont datables des Ve et VIe siècles, soit avant même la naissance de l’islam. Dès cette époque, on reconnaît les caractères propres à la langue arabe, et les consonnes sont écrites en étant liées entre elles. L’arrivée de l’islam confère un rôle culturel et politique nouveau aux Arabes et à leur langue ; de ce fait, le système d’écriture de l’arabe évolue, se complexifie, et prend parfois une dimension sacrée. Ainsi, tout un groupe de sourates du Coran s’ouvre avec des « lettres isolées », sans signification apparente, et qui demeurent mystérieuse malgré les nombreuses hypothèses des premiers commentateurs du texte, puis des savants orientalistes. Par exemple, la sourate 36 s’ouvre avec les deux lettres Ya et Sin ; certains y voient une abréviation de Ya Sayyid al-Moursalin, « ô Maître des Envoyés », expression désignant Muhammad. D’autres lettres se réfèreraient de façon énigmatique à Dieu, comme dans un groupe de sourates qui débute avec les trois lettres Alif - Lam - Mim, interprétés comme Allah, Latif, Majid, « Dieu est Bienveillant et Glorieux ».
D’autres éléments ont contribué au développement d’usages divinatoires et ésotériques des lettres de l’alphabet arabe. La tradition chiite considère que le monde se divise entre des éléments apparents, directement accessible au commun des mortels, et des éléments cachés, que seuls les personnes pratiquant l’ésotérisme peuvent comprendre. La science des lettres s’impose dans cette conception comme une connaissance ésotérique majeure. Les imams en sont les dépositaires, et peuvent ainsi deviner les événements futurs. Mais elle est aussi utilisée par les mystiques sunnites, pour tenter d’accéder aux secrets de la glose divine.
La possibilité d’attribuer une valeur numérique à chaque lettre, en fonction de sa place dans l’alphabet « abjad », est à la base de différents usages talismaniques. Ainsi, le penseur musulman al-Ghazali, dans un de ses livres, cite l’exemple d’un « carré magique », qui réunit des lettres et leur valeur numériques, et qui aurait comme propriété celle de faciliter l’accouchement de la femme.
Francesco Chiabotti
L’histoire de l’organisation de l’alphabet arabe est longue et complexe. Les plus anciennes inscriptions en caractères arabes sont datables des Ve et VIe siècles, soit avant même la naissance de l’islam. Dès cette époque, on reconnaît les caractères propres à la langue arabe, et les consonnes sont écrites en étant liées entre elles. L’arrivée de l’islam confère un rôle culturel et politique nouveau aux Arabes et à leur langue ; de ce fait, le système d’écriture de l’arabe évolue, se complexifie, et prend parfois une dimension sacrée. Ainsi, tout un groupe de sourates du Coran s’ouvre avec des « lettres isolées », sans signification apparente, et qui demeurent mystérieuse malgré les nombreuses hypothèses des premiers commentateurs du texte, puis des savants orientalistes. Par exemple, la sourate 36 s’ouvre avec les deux lettres Ya et Sin ; certains y voient une abréviation de Ya Sayyid al-Moursalin, « ô Maître des Envoyés », expression désignant Muhammad. D’autres lettres se réfèreraient de façon énigmatique à Dieu, comme dans un groupe de sourates qui débute avec les trois lettres Alif - Lam - Mim, interprétés comme Allah, Latif, Majid, « Dieu est Bienveillant et Glorieux ».
D’autres éléments ont contribué au développement d’usages divinatoires et ésotériques des lettres de l’alphabet arabe. La tradition chiite considère que le monde se divise entre des éléments apparents, directement accessible au commun des mortels, et des éléments cachés, que seuls les personnes pratiquant l’ésotérisme peuvent comprendre. La science des lettres s’impose dans cette conception comme une connaissance ésotérique majeure. Les imams en sont les dépositaires, et peuvent ainsi deviner les événements futurs. Mais elle est aussi utilisée par les mystiques sunnites, pour tenter d’accéder aux secrets de la glose divine.
La possibilité d’attribuer une valeur numérique à chaque lettre, en fonction de sa place dans l’alphabet « abjad », est à la base de différents usages talismaniques. Ainsi, le penseur musulman al-Ghazali, dans un de ses livres, cite l’exemple d’un « carré magique », qui réunit des lettres et leur valeur numériques, et qui aurait comme propriété celle de faciliter l’accouchement de la femme.
Francesco Chiabotti
Pour aller plus loin :
- Le Coran par lui-même, Anne-Sylvie Boisliveau, Vocabulaire et argumentation du discours coranique autoréférentiel, Leyde : Brill, 2014.
- La science des lettres en Islam, Pierre Lory, Paris : éditions Dervy, 2004
- Un art secret. Les écritures talismaniques de l’Afrique de l’Ouest , Jean-Charles Coulon, Le Monde des Djinns, magie et sciences occultes dans l’islam médiéval, 20 août 2013 , Voir le site
- La science des lettres ('ilm al-hurûf) dans la tradition médiévale , Pierre Lory, Annuaire, résumé des conférences et travaux, 102, 1993 , Voir le site
- Verbe coranique et magie en terre d'Islam , Pierre Lory, Systèmes de pensée en Afrique noire, décembre 1993, Voir le site
- Abjad , Wikipédia, l’encyclopédie libre, version du 21 novembre 2016 , Voir le site