Quels sont les liens entre la langue arabe et la politique ?
La langue du Coran utilise un grand nombre de termes liés au fonctionnement des tribus de l’Arabie pré-islamique (alliances, guerres, voyage dans le désert), pour décrire de manière symbolique la nouvelle alliance musulmane entre le croyant et Dieu. Ainsi, déjà dans les sermons des premiers califes recensés par l’écrivain al-Jahiz (mort vers 869 à Basra, en Irak), se mêlent emphase religieuse et rhétorique politique.
À l’époque médiévale, les Miroirs des Princes, héritant des sagesses grecque et surtout persane, furent souvent les instruments d’une pensée du politique en islam assez éloignée des légitimations religieuses. On le constate également dans la pensée d’un Ibn Khaldoun. Enfin, l’exercice du pouvoir par les Ottomans dissocia nécessairement pendant plusieurs siècles usage de la langue et réalités politiques, dans la plupart des provinces arabes.
Au cours du XIXe siècle, l’adoption de Constitutions et de régimes parlementaires dans plusieurs pays (Tunisie, Empire ottoman) conduisirent à adopter un vocabulaire politique nouveau, à la fois traduit des langues européennes et inspiré d’un vocabulaire arabe imprimé par l’islam. Un exemple : le mot shoura (« consultation », réutilisé pour désigner le régime parlementaire, voire la démocratie) est caractéristique de ces transpositions qui conduisaient à islamiser en apparence des usages sécularisés du politique.
Depuis la fin du XIXe siècle, le lien entre religieux et politique évolue dans le discours des mouvements arabes. Paradoxalement, le panarabisme et le nationalisme arabes, pourtant peu favorables à fonder l’identité arabe sur la religion musulmane, recourent aussi à un langage aux échos sacrés, mais ils le sécularisent et l’adaptent à un discours politique. Ainsi, le président égyptien Nasser, par exemple, utilise fréquemment le terme coranique oumma (« communauté »), mais non plus dans son sens de « communauté des croyants musulmans » (oumma al-mouminin) ; au contraire il définit une oumma arabiyya, « communauté arabe » ou, à l’aide d’un néologisme, la qawmiyya arabiyya. En Égypte ou encore en Irak sous Saddam Hussein, le discours officiel n’hésite pas à employer une terminologie islamique classique pour attaquer les adversaires du régime.
Une tendance similaire s’observe dans le renouveau de l’islam politique et les mouvements islamistes récents, dont daesh est le dernier avatar. Ils utilisent dans leurs discours une légitimation islamique classique, fondée sur les sources scripturaires, pour donner à leur action politique un aspect islamique. Ainsi la majorité des musulmans est considérée comme ignorante en matière de religion (état de jahiliyya) de façon à justifier leur ré-islamisation forcée. Au même moment ou presque, les révolutions de 2011 ont montré un usage désormais tout à fait sécularisé du langage politique arabe.
Francesco Binaghi
À l’époque médiévale, les Miroirs des Princes, héritant des sagesses grecque et surtout persane, furent souvent les instruments d’une pensée du politique en islam assez éloignée des légitimations religieuses. On le constate également dans la pensée d’un Ibn Khaldoun. Enfin, l’exercice du pouvoir par les Ottomans dissocia nécessairement pendant plusieurs siècles usage de la langue et réalités politiques, dans la plupart des provinces arabes.
Au cours du XIXe siècle, l’adoption de Constitutions et de régimes parlementaires dans plusieurs pays (Tunisie, Empire ottoman) conduisirent à adopter un vocabulaire politique nouveau, à la fois traduit des langues européennes et inspiré d’un vocabulaire arabe imprimé par l’islam. Un exemple : le mot shoura (« consultation », réutilisé pour désigner le régime parlementaire, voire la démocratie) est caractéristique de ces transpositions qui conduisaient à islamiser en apparence des usages sécularisés du politique.
Depuis la fin du XIXe siècle, le lien entre religieux et politique évolue dans le discours des mouvements arabes. Paradoxalement, le panarabisme et le nationalisme arabes, pourtant peu favorables à fonder l’identité arabe sur la religion musulmane, recourent aussi à un langage aux échos sacrés, mais ils le sécularisent et l’adaptent à un discours politique. Ainsi, le président égyptien Nasser, par exemple, utilise fréquemment le terme coranique oumma (« communauté »), mais non plus dans son sens de « communauté des croyants musulmans » (oumma al-mouminin) ; au contraire il définit une oumma arabiyya, « communauté arabe » ou, à l’aide d’un néologisme, la qawmiyya arabiyya. En Égypte ou encore en Irak sous Saddam Hussein, le discours officiel n’hésite pas à employer une terminologie islamique classique pour attaquer les adversaires du régime.
Une tendance similaire s’observe dans le renouveau de l’islam politique et les mouvements islamistes récents, dont daesh est le dernier avatar. Ils utilisent dans leurs discours une légitimation islamique classique, fondée sur les sources scripturaires, pour donner à leur action politique un aspect islamique. Ainsi la majorité des musulmans est considérée comme ignorante en matière de religion (état de jahiliyya) de façon à justifier leur ré-islamisation forcée. Au même moment ou presque, les révolutions de 2011 ont montré un usage désormais tout à fait sécularisé du langage politique arabe.
Francesco Binaghi
Pour aller plus loin :
- The political language of Islam, Bernard Lewis, 1988
- Religion and Language, Stefan Reichmuth, Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, vol. 4, p., Leiden, Boston : Brill, 200972-80.
- Political Discourse and Language , Nathalie Mazraani, Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, vol. 3, Leiden, Boston : Brill, 2007
- Analyse des champs sémantiques de la notion de umma arabiyya (nation arabe) dans le discours nassérien (1952-1970) , Marlène Abou-Chdid Nasrsem, Mots, 1981, 2, 1, p. 13-35 , Voir le site