Les dialectes arabes : qui parle quoi ?
On nomme communément « dialectes arabes » les langues utilisées chaque jour pour communiquer dans les pays de la région qui s’étend des côtes de l’océan Atlantique à l’ouest, aux rives du golfe Persique à l’est. Environ 375 millions de personnes réparties dans 20 pays du Maghreb et du Moyen-Orient ont comme langue maternelle un dialecte arabe. Ces pays sont : le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, le Soudan, Djibouti, la Somalie, l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, Oman, le Yémen, la Palestine, la Jordanie, la Syrie, l’Irak et le Liban. Deux dialectes arabes, aujourd’hui disparus mais parlés au Moyen Âge en Espagne et en Sicile, s’ajoutent à cette liste : l’arabe andalou et l’arabe sicilien. Le judéo-arabe, qui lui aussi puise ses origines au Moyen Âge, est toujours utilisé de nos-jours.
Les dialectes arabes actuels proviennent de deux phénomènes majeurs. Le premier est l’évolution naturelle de l’arabe, langue née dès avant l’arrivée de l’islam dans la péninsule Arabique. Surtout connu à l’origine comme une « langue poétique », et dans de courtes inscriptions, l’arabe est devenu à partir du VIIe siècle, une langue religieuse, celle du Coran, ainsi que politique et administrative.
Le second phénomène est l’islamisation et l’arabisation de populations non musulmanes et non arabophones qui adoptent la langue arabe au rythme des conquêtes musulmanes à partir du VIIe siècle. Dans les régions conquises par les guerriers musulmans venus de la péninsule Arabique, les anciens dialectes qu’ils pratiquaient se mêlent aux langues des populations locales : l’araméen en Syrie et au Liban, le copte en Égypte, le berbère en Afrique du nord etc. Depuis son histoire la plus ancienne, le monde arabe a connu des migrations, des déplacements de populations, des périodes d’occupation : autant de phénomènes sociaux qui ont aussi largement contribué à façonner les dialectes tels qu’on les connait aujourd’hui. L’étude du lexique permet de retrouver les éléments que les dialectes actuels ont empruntés à d’autres langues pour les adopter définitivement. Ainsi, au Maroc, deux termes du vocabulaire courant viennent de l’espagnol et du berbère : sandala et sarut, « sandale » et « clef ». Toujours au Maroc, on constate l’apparition récente de verbes français liés aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux conjugués à la manière arabe marocaine : ka-tkonikta « tu te connectes », ka-tfasboka « tu es sur facebook ».
Décrire précisément le paysage linguistique du monde arabe contemporain n’est pas aisé. En effet, les langues pratiquées y sont nombreuses et varient considérablement d’un territoire à l’autre, voire au sein d’un même pays. De plus, leur classification dépend de facteurs géographiques, sociaux ou religieux, mais aussi du sexe ou du niveau d’instruction de leurs locuteurs. Avant de classifier les variétés d’arabe parlées dans un seul pays, les spécialistes des dialectes ont d’abord utilisé des critères géographiques et ont distingué l’arabe maghrébin de l’arabe oriental. Ils ont établi que l’arabe maghrébin, ou arabe occidental, regroupe les variétés d’arabe parlées au Maroc, en Mauritanie, en Algérie, en Tunisie, en Libye et dans certaines régions de l’est de l’Égypte. Quant à l’arabe oriental, il rassemble celles parlées dans presque toute l’Égypte, au Soudan, en Jordanie, en Palestine, en Syrie, au Liban, en Irak et dans la péninsule Arabique. Il est lui-même divisé en quatre aires linguistiques : l’aire de la péninsule Arabique, l’aire Syrie-Liban-Palestine-Jordanie, l’aire irakienne et l’aire égypto-soudanaise.
Certains traits caractérisent et différencient les dialectes maghrébins des dialectes orientaux. Concernant les sons, les parlers maghrébins, notamment au Maroc et en Algérie, tendent à simplifier l’utilisation des voyelles. Quand l’arabe algérien dit ktab pour « livre », djaj pour « poulet » ou sma pour « ciel », l’arabe syrien dit kitab, dajaj et sama. Sur la forme des mots, la famille occidentale utilise le suffixe -ash pour former des interrogations. En marocain, « comment ? » se dit kifash ; mais le même mot se prononce kif en libanais, égyptien, syrien, palestinien. Quant au lexique, on trouve des formes propres à chaque groupe : hall, ḥout, khaddam, qui sont très maghrébines se disent ftaḥ, samak et amal en orient ; mais toutes servent à dire « ouvrir », « poisson » et « travailler ».
Aucun des dialectes parlés dans le monde arabe n’a aujourd’hui le statut de langue nationale. Cependant, l’espace qu’ils occupent dans la sphère publique est grandissant, et la tendance de certaines politiques linguistiques laissent penser qu’un jour, peut-être, toutes ces langues accèderont à une reconnaissance officielle aux côtés de l’arabe standard.
Jules Arsenne
Les dialectes arabes actuels proviennent de deux phénomènes majeurs. Le premier est l’évolution naturelle de l’arabe, langue née dès avant l’arrivée de l’islam dans la péninsule Arabique. Surtout connu à l’origine comme une « langue poétique », et dans de courtes inscriptions, l’arabe est devenu à partir du VIIe siècle, une langue religieuse, celle du Coran, ainsi que politique et administrative.
Le second phénomène est l’islamisation et l’arabisation de populations non musulmanes et non arabophones qui adoptent la langue arabe au rythme des conquêtes musulmanes à partir du VIIe siècle. Dans les régions conquises par les guerriers musulmans venus de la péninsule Arabique, les anciens dialectes qu’ils pratiquaient se mêlent aux langues des populations locales : l’araméen en Syrie et au Liban, le copte en Égypte, le berbère en Afrique du nord etc. Depuis son histoire la plus ancienne, le monde arabe a connu des migrations, des déplacements de populations, des périodes d’occupation : autant de phénomènes sociaux qui ont aussi largement contribué à façonner les dialectes tels qu’on les connait aujourd’hui. L’étude du lexique permet de retrouver les éléments que les dialectes actuels ont empruntés à d’autres langues pour les adopter définitivement. Ainsi, au Maroc, deux termes du vocabulaire courant viennent de l’espagnol et du berbère : sandala et sarut, « sandale » et « clef ». Toujours au Maroc, on constate l’apparition récente de verbes français liés aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux conjugués à la manière arabe marocaine : ka-tkonikta « tu te connectes », ka-tfasboka « tu es sur facebook ».
Décrire précisément le paysage linguistique du monde arabe contemporain n’est pas aisé. En effet, les langues pratiquées y sont nombreuses et varient considérablement d’un territoire à l’autre, voire au sein d’un même pays. De plus, leur classification dépend de facteurs géographiques, sociaux ou religieux, mais aussi du sexe ou du niveau d’instruction de leurs locuteurs. Avant de classifier les variétés d’arabe parlées dans un seul pays, les spécialistes des dialectes ont d’abord utilisé des critères géographiques et ont distingué l’arabe maghrébin de l’arabe oriental. Ils ont établi que l’arabe maghrébin, ou arabe occidental, regroupe les variétés d’arabe parlées au Maroc, en Mauritanie, en Algérie, en Tunisie, en Libye et dans certaines régions de l’est de l’Égypte. Quant à l’arabe oriental, il rassemble celles parlées dans presque toute l’Égypte, au Soudan, en Jordanie, en Palestine, en Syrie, au Liban, en Irak et dans la péninsule Arabique. Il est lui-même divisé en quatre aires linguistiques : l’aire de la péninsule Arabique, l’aire Syrie-Liban-Palestine-Jordanie, l’aire irakienne et l’aire égypto-soudanaise.
Certains traits caractérisent et différencient les dialectes maghrébins des dialectes orientaux. Concernant les sons, les parlers maghrébins, notamment au Maroc et en Algérie, tendent à simplifier l’utilisation des voyelles. Quand l’arabe algérien dit ktab pour « livre », djaj pour « poulet » ou sma pour « ciel », l’arabe syrien dit kitab, dajaj et sama. Sur la forme des mots, la famille occidentale utilise le suffixe -ash pour former des interrogations. En marocain, « comment ? » se dit kifash ; mais le même mot se prononce kif en libanais, égyptien, syrien, palestinien. Quant au lexique, on trouve des formes propres à chaque groupe : hall, ḥout, khaddam, qui sont très maghrébines se disent ftaḥ, samak et amal en orient ; mais toutes servent à dire « ouvrir », « poisson » et « travailler ».
Aucun des dialectes parlés dans le monde arabe n’a aujourd’hui le statut de langue nationale. Cependant, l’espace qu’ils occupent dans la sphère publique est grandissant, et la tendance de certaines politiques linguistiques laissent penser qu’un jour, peut-être, toutes ces langues accèderont à une reconnaissance officielle aux côtés de l’arabe standard.
Jules Arsenne
Pour aller plus loin :
- L’arabe parlé à Alger. Aspects sociolinguistiques et énonciatifs, Aziza Bouchetrit, Paris, Louvain : Peteers, 2002
- Atlas des langues du monde, Roland Breton, Paris : éditions Autrement, 2003
- L’arabe marocain, Dominique Caubet, Paris, Louvain : Peeters, 1993
- Encyclopédie linguistique d’Al-Andalus. Vol 1., Federico Corriente, Christophe Pereira, Ángeles Vicente, Aperçu grammatical du faisceau dialectal arabe andalou : perspectives phraséologiques et étymologiques, Berlin : DeGruyter, 2015
- Dictionnaire des parlers arabes de Syrie, Liban et Palestine, Claude Denizeau, Supplément au dictionnaire Arabe-Français de A. Barthélemy, Paris : Maisonneuve, 1960
- Le parler arabe de Tripoli (Libye), Christophe Pereira, Saragosse : Instituto de Estudios Árabes e Islámicos y Del Oriente Próximo, 2010
- The spoken arabic of Iraq, John Van Ess, Oxford : Oxford University Press, 1989