Racines et schèmes : réalité linguistique ou outil pédagogique ?
En cours d’arabe, on enseigne souvent que les mots de cette langue sont produits par le croisement d’une racine de trois ou, plus rarement, quatre lettres (racine dite « trilitère » ou « quadrilitère »), véhiculant un sens lexical général, et d’un schème ou structure morphologique (c’est-à-dire la forme d’un mot) qui indique la valeur grammaticale. Ainsi, à partir d’une racine K-T-B, qui aurait pour sens « écrire », on pourrait construire les mots du tableau ci-dessus.
Ce système de racine-schème se révèle un outil pédagogique très efficace pour le non-arabophone qui apprend la langue, car il permet d’enrichir rapidement le vocabulaire connu et, souvent, de deviner le sens de mots qui n’ont pas encore été appris.
Les dictionnaires arabes anciens enregistraient déjà le lexique en le classant par racines. Aujourd’hui, cependant, tous les arabophones de langue maternelle ne sont pas capables d’extraire la racine d’un mot afin de de le retrouver dans de tels dictionnaires – au moins, sans qu’ils n’aient appris à le faire. C’est un signe que la réalité de l’usage linguistique est plus complexe que ce que le système racine-schème laisse entrevoir.
D’un côté, en effet, une même racine peut représenter deux (ou plusieurs) familles lexicales différentes et indépendantes : par exemple, les mots jamal « chameau », joumla « somme, ensemble » et jamil « beau » ont tous la même racine J-M-L, mais appartiennent clairement à trois familles lexicales différentes. De l’autre, on pourrait être tenté de penser que la dérivation lexicale se fait à partir d’une racine abstraite, alors que, comme en français, elle se fait toujours à partir d’un autre mot : dans les exemples du tableau, n’est-il pas évident que le sens du mot maktaba « bibliothèque » est étroitement lié à celui de kitâb « livre » et, donc, qu’il n’est pas dérivé directement du verbe kataba ou de la racine KTB ? La racine ne pourrait bien être ainsi que la trace du mot de base dans le mot dérivé…
Francesco Binaghi
Ce système de racine-schème se révèle un outil pédagogique très efficace pour le non-arabophone qui apprend la langue, car il permet d’enrichir rapidement le vocabulaire connu et, souvent, de deviner le sens de mots qui n’ont pas encore été appris.
Les dictionnaires arabes anciens enregistraient déjà le lexique en le classant par racines. Aujourd’hui, cependant, tous les arabophones de langue maternelle ne sont pas capables d’extraire la racine d’un mot afin de de le retrouver dans de tels dictionnaires – au moins, sans qu’ils n’aient appris à le faire. C’est un signe que la réalité de l’usage linguistique est plus complexe que ce que le système racine-schème laisse entrevoir.
D’un côté, en effet, une même racine peut représenter deux (ou plusieurs) familles lexicales différentes et indépendantes : par exemple, les mots jamal « chameau », joumla « somme, ensemble » et jamil « beau » ont tous la même racine J-M-L, mais appartiennent clairement à trois familles lexicales différentes. De l’autre, on pourrait être tenté de penser que la dérivation lexicale se fait à partir d’une racine abstraite, alors que, comme en français, elle se fait toujours à partir d’un autre mot : dans les exemples du tableau, n’est-il pas évident que le sens du mot maktaba « bibliothèque » est étroitement lié à celui de kitâb « livre » et, donc, qu’il n’est pas dérivé directement du verbe kataba ou de la racine KTB ? La racine ne pourrait bien être ainsi que la trace du mot de base dans le mot dérivé…
Francesco Binaghi
Pour aller plus loin :
- Développements récents en linguistique arabe et sémitique, Georges Bohas, Damas : Presses de l’IFPO, 1993
- Racines et schèmes, Jean Cantineau, Mélanges William Marçais, Paris : G.-P. Maisonneuve, 1950, p. 119-124
- Dérivation arabisante et ištiqāq arabe : histoire d’un malentendu, Pierre Larcher, Barbara Kaltz (dir.), Regards croisés sur les mots non simples, Lyon : ENS éditions, 2008, p. 85-94