Dar al-Islam, le territoire de l'Islam #article

Peut-on dire que le jihad est une « guerre sainte » ?

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Le terme de jihad, fondé sur la racine arabe J-H-D, signifie littéralement « travailler avec assiduité à quelque chose ». Dans le contexte religieux, on lui adjoint souvent l’expression « sur le chemin de Dieu », pour parler d’un « combat pour Dieu » ; ce sens est le plus couramment utilisé. On distingue alors deux acceptions : le jihad extérieur et le jihad intérieur. Le premier, parfois aussi appelé petit jihad, se caractérise par sa dimension guerrière ; il s’agit d’un « combat sacré » contre les ennemis de l’islam. Le second, dit aussi grand jihad, se conçoit comme un combat personnel de l’Homme contre ses propres démons.

Cette notion est donc particulièrement complexe, et son utilisation varie largement selon les époques, les lieux et les personnes. Comment est-elle exprimée dans le Coran ? Les exhortations au « combat sacré » sont très présentes dans les sourates les plus tardives, dites médinoises. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que Muhammad s’attacha particulièrement à la conduite de la guerre, après son émigration à Médine en 622.
Le terme jihad et ceux qui en dérivent y sont clairement utilisés en tant que « combat sacré sur le sentier de Dieu »: « Vous croirez en Dieu et en son Prophète ; vous combattrez dans le sentier de Dieu » (sourate 61, début du verset 11). Toutefois, l’un des plus fameux versets sur la guerre, celui dit « de l’épée », utilise un terme différent, dérivé du mot qital : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui parmi les gens du Livre ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils payent directement le tribut après s’être humiliés » (sourate 9, verset 29). Comme le jihad, le qital s’effectue contre « les ennemis de Dieu », et reste donc dans le même esprit. Le texte coranique réglemente la conduite du jihad : par exemple, un verset proscrit le combat durant le mois de ramadan. « Ils t’interrogent au sujet du combat durant le mois sacré. Dis : Combattre en ce mois est un péché grave » (sourate 2, début du verset 217).

Les recueils de traditions liées à la vie de Muhammad (hadiths), qui constituent avec le Coran le fondement du droit et des croyances musulmans, contiennent souvent une section consacrée au jihad. Ils en embrassent divers aspects : les mérites du jihad combattant, ses conditions, la récompense du combattant, le rôle du calife dans sa conduite, le traitement des prisonniers, etc. Cet engagement des clercs aboutit à une représentation manichéenne du monde opposant le territoire de l’islam (dar al-islam) au territoire de la guerre (dar al-harb), terre d’excellence du jihad.

Le jihad occupe aussi une place notable dans l’œuvre des auteurs musulmans du Moyen Âge. Un genre littéraire spécifique s’est alors particulièrement développé, celui des « expéditions militaires du Prophète », qui placent le parcours de ce dernier sous les auspices du jihad. Le thème des conquêtes islamiques est un autre terrain privilégié au développement de la notion de jihad. Là aussi, toute une littérature a émergé, autour de la notion de foutouhat, « conquête », qui trouve sans doute son origine dans un autre verset du Coran : « Oui nous t’avons accordé une éclatante victoire » (sourate 48, verset 1). Le but de ces auteurs musulmans anciens était de rédiger une histoire islamique du salut, afin de de montrer que les conquêtes arabes ne devaient rien au hasard, mais qu’elles étaient dues aux faveurs de Dieu.

L’idée qu’une partie du jihad consistait une lutte spirituelle et interne s’est développée après que les frontières du monde islamique ont été établies. Elle s’appuie notamment sur un verset du Coran : « Celui qui lutte ne lutte que pour son bien. Dieu se suffit à lui-même, il n’a pas besoin de l’univers » (sourate 29, verset 6). Sous l’influence des courants mystiques, l’idée d’un jihad non-violent a pris de l’ampleur à partir des IXe-Xe siècles. Pour Ibn Arabi, Roumi ou al-Baghdadi, les « ennemis de la religion » ne sont pas des personnes, mais des pulsions, des passions, des faiblesses, que le croyant doit apprendre à dominer. Cette vision a été remise au goût du jour par les modernistes du XXe siècle.

Au total, il faut surtout retenir que le jihad n’est pas une notion figée dans l’histoire. Ses significations et ses implications ont sans cesse été redéfinies, en fonction des contextes politiques, religieux et sociaux. Le récent mouvement de « jihadisme » n’en est que l’un des nombreux avatars.
Hassan Bouali

Pour aller plus loin :

  • Le jihad, origines, interprétations, combats, Michael Bonner, Paris : Téraèdre, 2014
  • Le Gihâd dans l’Islam médiéval, le « combat sacré » des origines au XIIe siècle, Alfred Morabia, Paris : Albin Michel, 1993.
  • L’Orient au temps des croisades, Anne-Marie Eddé, Françoise Micheau, Paris : Flammarion, 2002
  • « Jihâd et harb », Makram Abbès, Canal U, 2012 , Voir le site
  • « Jihad », Makram Abbès, Canal U, 2007 , Voir le site
  • Les divisions de l’islam : sur la question du voile et du jihad, Souad Ayada, Banquet de la grasse, 2015, Voir le site
  • What Does Jihad Actually Mean?, Sekker Daily, 2014 , Voir le site
  • My Jihad, 2016 , Voir le site

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