Quels sont les liens entre la langue arabe et la religion musulmane ?
La langue de la révélation
La révélation coranique entretient un lien étroit avec son support de diffusion, la langue arabe. Par des versets tels que « Chaque prophète envoyé par nous ne s’exprimait, pour l’éclairer, que dans la langue du peuple auquel il s’adressait. » (sourate 14, verset 4), le Coran, qui résulte lui-même d’une révélation prophétique, investit la langue arabe d’une fonction religieuse très large, sans doute peu familière aux premiers destinataires du message de Muhammad. À plusieurs reprises, le livre saint affirme être conforme à une « langue arabe claire » (sourate 26, verset 195 ; sourate 16, verset 103). D’autres éléments, issus de la tradition, vont encore plus loin : l’arabe étant considéré comme la langue du Paradis, le style du Prophète devient lui-même un modèle, grâce à ses capacités expressives miraculeuses. Au fil du temps, une théologie de la langue se met progressivement en place et le dogme de l’« inimitabilité » du Coran s’impose en milieu sunnite. Parfait dans son style comme dans son fond, le Coran relève du miracle et ne peut être imité par les Hommes.
Etant donné ce caractère miraculeux, la langue du Coran, bien que compréhensible par le locuteur arabe, ne pouvait qu’être d’origine divine. Dans les premiers siècles de l’islam, le pas vers la sacralisation de la langue n’allait cependant pas de soi. Donner à l’arabe un statut supérieur à celui des autres langues parlées dans l’empire entraînait d’importantes conséquences sociales et politiques : cela mettait en concurrence les élites arabophones avec la majorité de la population, aux pratiques linguistiques et religieuses très variées. Pour faire face à ces tensions, les premiers califes ont dû développer une politique d’arabisation de l’empire et de ses institutions. Dans ce processus, le langage religieux a joué un rôle primordial. Par ailleurs, les non-Arabes, persans en particulier, se sont lentement intégrés dans l’appareil d’État. Ces hommes, souvent parfaitement bilingues, comptent parmi les premiers savants et écrivains en langue arabe. Il faut attendre quelques siècles avant que le persan, désormais écrit en caractères arabes, puisse trouver sa place à côté de l’arabe en tant que langage religieux et culturel.
Dans l’Islam médiéval, d’autres conceptions de la langue, rationnelles et philosophiques, ont remis en cause le dogme religieux sur le langage. En réponse, certains mystiques musulmans ont proposé une lecture allégorique de la langue arabe. Hissée au statut de métaphore de l’âme, elle devient un élément essentiel du salut pour ces soufis qui recherchent une relation directe avec la divinité.
Le sacré au quotidien
La mise en mots du sacré, si caractéristique de l’arabe, est toujours d’actualité dans l’utilisation, dans la vie quotidienne des arabophones et des musulmans, de certaines formules. Par exemple, les noms de Dieu sont employés dans un ensemble de pratiques rituelles, mais également dans le langage courant. Ils apparaissent ainsi dans les noms propres (Abdallah, Abdouh, Abderahman), ou dans des formules d’invocations. On utilise aussi des formules religieuses en arabe comme des talismans. L’impact de la religion sur la langue arabe devient ainsi visible au quotidien.
La sacralisation de l’arabe permet à des formules issues de l’arabe classique de demeurer vivaces non seulement dans l’ensemble des dialectes arabes, mais aussi globalement dans les langues des peuples de l’islam. Ce phénomène caractérise désormais l’expression des musulmans en langues européennes : un certain nombre de formules liées aux pratiques mais aussi au langage courant (ma sha Allah, in sha Allah, salam alaykoum) sont toujours en langue arabe classique. La présence musulmane dans l’Espagne, la France et la Sicile médiévales a permis à la langue arabe classique de s’inscrire durablement dans le territoire. Un certain nombre de termes sont encore d’usage courant aujourd’hui, comme ojalá, en espagnol, qui dérive de l’arabe ma sha Allah (« Si Dieu le veut »).
Francesco Chiabotti
La révélation coranique entretient un lien étroit avec son support de diffusion, la langue arabe. Par des versets tels que « Chaque prophète envoyé par nous ne s’exprimait, pour l’éclairer, que dans la langue du peuple auquel il s’adressait. » (sourate 14, verset 4), le Coran, qui résulte lui-même d’une révélation prophétique, investit la langue arabe d’une fonction religieuse très large, sans doute peu familière aux premiers destinataires du message de Muhammad. À plusieurs reprises, le livre saint affirme être conforme à une « langue arabe claire » (sourate 26, verset 195 ; sourate 16, verset 103). D’autres éléments, issus de la tradition, vont encore plus loin : l’arabe étant considéré comme la langue du Paradis, le style du Prophète devient lui-même un modèle, grâce à ses capacités expressives miraculeuses. Au fil du temps, une théologie de la langue se met progressivement en place et le dogme de l’« inimitabilité » du Coran s’impose en milieu sunnite. Parfait dans son style comme dans son fond, le Coran relève du miracle et ne peut être imité par les Hommes.
Etant donné ce caractère miraculeux, la langue du Coran, bien que compréhensible par le locuteur arabe, ne pouvait qu’être d’origine divine. Dans les premiers siècles de l’islam, le pas vers la sacralisation de la langue n’allait cependant pas de soi. Donner à l’arabe un statut supérieur à celui des autres langues parlées dans l’empire entraînait d’importantes conséquences sociales et politiques : cela mettait en concurrence les élites arabophones avec la majorité de la population, aux pratiques linguistiques et religieuses très variées. Pour faire face à ces tensions, les premiers califes ont dû développer une politique d’arabisation de l’empire et de ses institutions. Dans ce processus, le langage religieux a joué un rôle primordial. Par ailleurs, les non-Arabes, persans en particulier, se sont lentement intégrés dans l’appareil d’État. Ces hommes, souvent parfaitement bilingues, comptent parmi les premiers savants et écrivains en langue arabe. Il faut attendre quelques siècles avant que le persan, désormais écrit en caractères arabes, puisse trouver sa place à côté de l’arabe en tant que langage religieux et culturel.
Dans l’Islam médiéval, d’autres conceptions de la langue, rationnelles et philosophiques, ont remis en cause le dogme religieux sur le langage. En réponse, certains mystiques musulmans ont proposé une lecture allégorique de la langue arabe. Hissée au statut de métaphore de l’âme, elle devient un élément essentiel du salut pour ces soufis qui recherchent une relation directe avec la divinité.
Le sacré au quotidien
La mise en mots du sacré, si caractéristique de l’arabe, est toujours d’actualité dans l’utilisation, dans la vie quotidienne des arabophones et des musulmans, de certaines formules. Par exemple, les noms de Dieu sont employés dans un ensemble de pratiques rituelles, mais également dans le langage courant. Ils apparaissent ainsi dans les noms propres (Abdallah, Abdouh, Abderahman), ou dans des formules d’invocations. On utilise aussi des formules religieuses en arabe comme des talismans. L’impact de la religion sur la langue arabe devient ainsi visible au quotidien.
La sacralisation de l’arabe permet à des formules issues de l’arabe classique de demeurer vivaces non seulement dans l’ensemble des dialectes arabes, mais aussi globalement dans les langues des peuples de l’islam. Ce phénomène caractérise désormais l’expression des musulmans en langues européennes : un certain nombre de formules liées aux pratiques mais aussi au langage courant (ma sha Allah, in sha Allah, salam alaykoum) sont toujours en langue arabe classique. La présence musulmane dans l’Espagne, la France et la Sicile médiévales a permis à la langue arabe classique de s’inscrire durablement dans le territoire. Un certain nombre de termes sont encore d’usage courant aujourd’hui, comme ojalá, en espagnol, qui dérive de l’arabe ma sha Allah (« Si Dieu le veut »).
Francesco Chiabotti
Pour aller plus loin :
- Langue et style , Michel Cuypers, dans Mohammad Ali Amir Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris : Robert Laffont, 2007, p. 473-476
- Langue et Coran : une lecture syro-araméenne du Coran , Claude Gilliot, Arabica, Juillet 2003, 3, p. 381-393
- Les non-dits du nom, onomastique et documents en terres d'Islam, Christian Müller, Muriel Roiland-Rouabah (dirs.), Beyrouth : Presses de l’IFPO, 2013
- Remarques critiques sur le style et la syntaxe du Coran, Theodor Nöldeke, Paris : A. Maisonneuve, 1953
- Langue et littérature arabe, Charles Pellat, Paris : Armand Colin, 1952
- Langue, religion et modernité dans l’espace musulman , Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, novembre 2008 , Voir le site