Existe-t-il un droit et une justice modernes dans les pays arabes ?
Pendant plus de dix siècles, la justice en terre arabe a été basée sur les principes de la jurisprudence religieuse, et rendue par des cadis, des personnages versés dans l’étude du droit musulman (fiqh). Selon les régions, des coutumes locales entraient également en ligne de compte. À partir du XIXe siècle, avec le renforcement des liens avec l’Europe et la montée d’idées réformatrices, le droit et la justice ont connu d’importantes modifications. Les sultans ottomans ont ouvert la voie avec leur grand mouvement de « réorganisation », les tanzimat. Puis, en 1857, un Pacte fondamental a été rédigé pour énoncer les libertés des sujets du Bey de Tunis ; trois ans plus tard, la Tunisie se dotait pour la première fois d’une Constitution – rapidement abolie toutefois. De même, en Égypte, le Code paysan de 1830 couchait par écrit les peines susceptibles d’être infligées à la population rurale, afin de limiter les nombreux abus dont elle était victime. On voit aussi se généraliser progressivement le recours aux premiers avocats.
Ces deux pays, Tunisie et Égypte, eurent une influence très forte sur l’évolution des systèmes légaux et judiciaires des différents pays du monde arabe au cours du XXe siècle. Leurs Codes pénaux furent mis en place à la période coloniale (1913 en Tunisie) ou peu après (1949 en Égypte), puis complétés par d’autres textes, comme le Code du statut personnel en Tunisie (1956). Ils tentent de concilier certains éléments coutumiers, traditionnels et religieux avec de grands principes européens – libéralisme, égalité de tous devant la loi, laïcité, prépondérance de la loi écrite. Les droits français et allemand servent de modèle à la fois sur la forme et sur le fond, mais certains articles et dispositions s’inspirent directement de traités juridiques musulmans. Dans le Code civil égyptien, promulgué en 1949, l’article Ier indique également que dans les cas non prévus par la loi, « le juge statuera d’après la coutume, et à son défaut, d'après les principes du droit musulman. »
Pris en exemple par de nombreux autres pays, comme la Syrie, l’Algérie, la Jordanie ou encore la Mauritanie, ces codes tunisien et égyptien servirent de base à l’élaboration des systèmes législatifs de la plupart des pays du monde arabe au milieu du XXe siècle. Cependant, dans les pays du Golfe, comme le Qatar, Bahreïn ou Oman, la mise en place de textes et d’institutions à l’européenne est beaucoup plus tardive, puisqu’elle n’intervient que dans les années 2000.
Si de nombreux principes furent bien accueillis, les lois touchant au statut des personnes et de la famille, notamment au mariage, eurent beaucoup plus de mal à être acceptées, à la fois par les populations et par les magistrats. La pression des courants islamistes, en Égypte, en Syrie et en Algérie notamment, a mis un frein aux réformes à partir de la fin des années 1970. Des éléments religieux ont parfois été ajoutés aux lois, mais celles-ci se sont souvent sclérosées, sans suivre les évolutions de la société.
Il n’existe de nos jours aucun pays dans le monde arabe qui mette purement en pratique la loi musulmane, à l’exception, discutable, de l’Arabie Saoudite. Même si certains pays utilisent des peines exemplaires évoquées dans le Coran et la Sunna, comme la lapidation ou les coups de fouet, toutes les législations des pays arabes sont, dans leur forme comme dans leur contenu, fortement influencées par celles des pays européens. Cet état de fait est parfois contesté par les juristes des pays arabes qui estiment que, de ce fait, les codes ne sont pas adaptés à la situation de leur pays.
La corruption, le manque de juges bien formés, l’engorgement des tribunaux entraînent aussi une méfiance générale des populations envers les institutions judiciaires. C’est en partie un désir d’une plus grande justice, de la part d’une population de plus en plus jeune, urbaine et éduquée, qui explique les soulèvements qualifiés de « printemps arabes » en 2011. En Tunisie notamment, ils ont mené à d’importantes révisions des lois.
Mélisande Bizoirre
Ces deux pays, Tunisie et Égypte, eurent une influence très forte sur l’évolution des systèmes légaux et judiciaires des différents pays du monde arabe au cours du XXe siècle. Leurs Codes pénaux furent mis en place à la période coloniale (1913 en Tunisie) ou peu après (1949 en Égypte), puis complétés par d’autres textes, comme le Code du statut personnel en Tunisie (1956). Ils tentent de concilier certains éléments coutumiers, traditionnels et religieux avec de grands principes européens – libéralisme, égalité de tous devant la loi, laïcité, prépondérance de la loi écrite. Les droits français et allemand servent de modèle à la fois sur la forme et sur le fond, mais certains articles et dispositions s’inspirent directement de traités juridiques musulmans. Dans le Code civil égyptien, promulgué en 1949, l’article Ier indique également que dans les cas non prévus par la loi, « le juge statuera d’après la coutume, et à son défaut, d'après les principes du droit musulman. »
Pris en exemple par de nombreux autres pays, comme la Syrie, l’Algérie, la Jordanie ou encore la Mauritanie, ces codes tunisien et égyptien servirent de base à l’élaboration des systèmes législatifs de la plupart des pays du monde arabe au milieu du XXe siècle. Cependant, dans les pays du Golfe, comme le Qatar, Bahreïn ou Oman, la mise en place de textes et d’institutions à l’européenne est beaucoup plus tardive, puisqu’elle n’intervient que dans les années 2000.
Si de nombreux principes furent bien accueillis, les lois touchant au statut des personnes et de la famille, notamment au mariage, eurent beaucoup plus de mal à être acceptées, à la fois par les populations et par les magistrats. La pression des courants islamistes, en Égypte, en Syrie et en Algérie notamment, a mis un frein aux réformes à partir de la fin des années 1970. Des éléments religieux ont parfois été ajoutés aux lois, mais celles-ci se sont souvent sclérosées, sans suivre les évolutions de la société.
Il n’existe de nos jours aucun pays dans le monde arabe qui mette purement en pratique la loi musulmane, à l’exception, discutable, de l’Arabie Saoudite. Même si certains pays utilisent des peines exemplaires évoquées dans le Coran et la Sunna, comme la lapidation ou les coups de fouet, toutes les législations des pays arabes sont, dans leur forme comme dans leur contenu, fortement influencées par celles des pays européens. Cet état de fait est parfois contesté par les juristes des pays arabes qui estiment que, de ce fait, les codes ne sont pas adaptés à la situation de leur pays.
La corruption, le manque de juges bien formés, l’engorgement des tribunaux entraînent aussi une méfiance générale des populations envers les institutions judiciaires. C’est en partie un désir d’une plus grande justice, de la part d’une population de plus en plus jeune, urbaine et éduquée, qui explique les soulèvements qualifiés de « printemps arabes » en 2011. En Tunisie notamment, ils ont mené à d’importantes révisions des lois.
Mélisande Bizoirre
Pour aller plus loin :
- Droit musulman, Hervé Bleuchot, 2 tomes, Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000.
- Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Bernard Otiveau, Aix-en-Provence : Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, 1993
- Le phénomène d’appropriation des droits étrangers par les pays arabes : réussite ou échec ? , Mehdi Alharrak, Institut d'Études sur le Droit et la Justice dans les sociétés Arabes, mars 2014 , Voir le site