Quelles sont les quatre écoles juridiques sunnites ?
Le droit musulman est né de la nécessité de codifier les pratiques prescrites à la communauté musulmane. Il s’applique aussi bien aux prescriptions rituelles (ibadat) qu’aux relations sociales (mouamalat). D’abord compris comme « réflexion », et opposé à la connaissance des textes et de la tradition, le terme fiqh en vint à désigner le droit musulman, ou « science de la Loi » – la « Loi » en question étant la sharia.
Le fiqh s’est d’abord constitué durant les VIIIe et IXe siècles contre les traditionnistes, « gens du hadith », attachés à la lettre des textes et défavorables à l’intervention de la raison dans les disciplines religieuses, dans la mesure où l’opinion humaine non éclairée par la révélation est sujette à l’erreur. Le droit musulman se subdivise en osoul et fourou, sources et ramifications du droit. Les débats ont surtout porté sur la valeur à accorder aux différentes sources. Les deux sources unanimement reconnues que sont le Coran et la sunna (les pratiques et paroles du prophète Muhammad consignées dans les recueils de hadiths) ne suffisaient pas à juger les cas nouveaux. Il fallait donc fonder le droit sur d’autres sources, et en justifier l’usage ; les écoles juridiques (madhhab) représentent les différentes options admises sur cette question.
Les principales autres sources sont l’analogie (qiyas) et le consensus (ijma). Le « jugement personnel » – fondé sur l’utilité publique ou sur la préférence du juriste en vue du bien – et le droit coutumier sont admis comme sources secondaires. L’usage de ces sources suppose l’ijtihad, l’effort personnel du savant. Mais peu à peu, l’ijtihad des fondateurs d’écoles laissa la place à l’acceptation passive de leurs positions.
Les écoles juridiques sunnites sont au nombre de quatre, toutes considérées comme orthodoxes. Chacune porte le nom d’un grand docteur de la loi.
Le fondateur de l’école hanafite, Abou Hanifa (mort en 767), était un représentant de l’école juridique de Koufa, en Irak. Ce sont surtout ses disciples Abou Yousouf (mort en 798) et Shaybani (mort en 805) qui codifièrent les positions du hanafisme. Il se caractérise par son recours au « jugement préférentiel » et au raisonnement analogique, qui permet de juger un cas nouveau d’après un cas analogue déjà jugé dans le Coran ou la sunna. Sous l’influence de la pensée grecque, l’école a donné à l’analogie la forme d’un syllogisme en intégrant la « recherche du motif » : le motif de l’interdiction coranique du vin est l’ivresse, donc toute boisson qui procure l’ivresse est interdite. Le hanafisme fut l’école officielle de l’Empire ottoman, qui domina une grande partie du monde arabe entre les XVe et XIXe siècles. Il est représenté en Irak, en Syrie, en Asie centrale, en Inde et en Chine.
Malik ibn Anas (mort en 795), fondateur du malikisme, était issu de l’école de Médine. Il intégra donc les principes qui y avaient cours : le consensus des savants et le jugement personnel de chacun d’eux. L’école a largement recours au principe d’utilité publique et accorde une place importante au droit coutumier. Elle se développe en Haute-Égypte, et, de là, en Afrique. Majoritaire en Algérie et en Tunisie, elle est la seule reconnue au Maroc.
Shafii (mort en 820) était issu de l’école de Médine avant de se rallier aux traditionnistes. Le shafiisme doit originellement être compris comme la recherche d’un moyen terme entre hanafisme et malikisme, puisqu’il rejette la technique de la « recherche du motif » des premiers, et le « jugement personnel » des seconds. L’école se distingue par sa réflexion sur la nature du consensus, et le conçoit comme celui de la communauté islamique, à n’importe quelle époque, là où le hanafisme et le malikisme le définissaient comme celui des savants d’une époque et d’une école données. Le shafiisme est représenté en Basse-Égypte, au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique orientale, en Indonésie et en Malaisie.
Le hanbalisme est un cas particulier puisque son fondateur, Ahmad ibn Hanbal (mort en 855), n’était pas un juriste mais un traditionniste. L’émergence de l’école est le résultat d’une réaction des traditionnistes aussi bien aux écoles de Médine et d’Irak, qu’à la tentative shafiite de concilier tradition et consensus. Il fut en faveur auprès des couches populaires et des courants centrés sur la pratique religieuse, sans toutefois se propager dans des régions déterminées comme les autres écoles. Parmi ses grands représentants, on peut nommer Ibn Taymiyya (mort en 1328) et son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya, qui sont aujourd’hui des références incontournables tant pour les wahhabites que pour le réformisme salafiste.
D’autres écoles juridiques ont existé dans le sunnisme, mais ont disparu.
Fârès Gillon
Le fiqh s’est d’abord constitué durant les VIIIe et IXe siècles contre les traditionnistes, « gens du hadith », attachés à la lettre des textes et défavorables à l’intervention de la raison dans les disciplines religieuses, dans la mesure où l’opinion humaine non éclairée par la révélation est sujette à l’erreur. Le droit musulman se subdivise en osoul et fourou, sources et ramifications du droit. Les débats ont surtout porté sur la valeur à accorder aux différentes sources. Les deux sources unanimement reconnues que sont le Coran et la sunna (les pratiques et paroles du prophète Muhammad consignées dans les recueils de hadiths) ne suffisaient pas à juger les cas nouveaux. Il fallait donc fonder le droit sur d’autres sources, et en justifier l’usage ; les écoles juridiques (madhhab) représentent les différentes options admises sur cette question.
Les principales autres sources sont l’analogie (qiyas) et le consensus (ijma). Le « jugement personnel » – fondé sur l’utilité publique ou sur la préférence du juriste en vue du bien – et le droit coutumier sont admis comme sources secondaires. L’usage de ces sources suppose l’ijtihad, l’effort personnel du savant. Mais peu à peu, l’ijtihad des fondateurs d’écoles laissa la place à l’acceptation passive de leurs positions.
Les écoles juridiques sunnites sont au nombre de quatre, toutes considérées comme orthodoxes. Chacune porte le nom d’un grand docteur de la loi.
Le fondateur de l’école hanafite, Abou Hanifa (mort en 767), était un représentant de l’école juridique de Koufa, en Irak. Ce sont surtout ses disciples Abou Yousouf (mort en 798) et Shaybani (mort en 805) qui codifièrent les positions du hanafisme. Il se caractérise par son recours au « jugement préférentiel » et au raisonnement analogique, qui permet de juger un cas nouveau d’après un cas analogue déjà jugé dans le Coran ou la sunna. Sous l’influence de la pensée grecque, l’école a donné à l’analogie la forme d’un syllogisme en intégrant la « recherche du motif » : le motif de l’interdiction coranique du vin est l’ivresse, donc toute boisson qui procure l’ivresse est interdite. Le hanafisme fut l’école officielle de l’Empire ottoman, qui domina une grande partie du monde arabe entre les XVe et XIXe siècles. Il est représenté en Irak, en Syrie, en Asie centrale, en Inde et en Chine.
Malik ibn Anas (mort en 795), fondateur du malikisme, était issu de l’école de Médine. Il intégra donc les principes qui y avaient cours : le consensus des savants et le jugement personnel de chacun d’eux. L’école a largement recours au principe d’utilité publique et accorde une place importante au droit coutumier. Elle se développe en Haute-Égypte, et, de là, en Afrique. Majoritaire en Algérie et en Tunisie, elle est la seule reconnue au Maroc.
Shafii (mort en 820) était issu de l’école de Médine avant de se rallier aux traditionnistes. Le shafiisme doit originellement être compris comme la recherche d’un moyen terme entre hanafisme et malikisme, puisqu’il rejette la technique de la « recherche du motif » des premiers, et le « jugement personnel » des seconds. L’école se distingue par sa réflexion sur la nature du consensus, et le conçoit comme celui de la communauté islamique, à n’importe quelle époque, là où le hanafisme et le malikisme le définissaient comme celui des savants d’une époque et d’une école données. Le shafiisme est représenté en Basse-Égypte, au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique orientale, en Indonésie et en Malaisie.
Le hanbalisme est un cas particulier puisque son fondateur, Ahmad ibn Hanbal (mort en 855), n’était pas un juriste mais un traditionniste. L’émergence de l’école est le résultat d’une réaction des traditionnistes aussi bien aux écoles de Médine et d’Irak, qu’à la tentative shafiite de concilier tradition et consensus. Il fut en faveur auprès des couches populaires et des courants centrés sur la pratique religieuse, sans toutefois se propager dans des régions déterminées comme les autres écoles. Parmi ses grands représentants, on peut nommer Ibn Taymiyya (mort en 1328) et son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya, qui sont aujourd’hui des références incontournables tant pour les wahhabites que pour le réformisme salafiste.
D’autres écoles juridiques ont existé dans le sunnisme, mais ont disparu.
Fârès Gillon
Pour aller plus loin :
- Authority, continuity and change in Islamic law, Wael B. Hallaq, Cambridge, New York : Cambridge University Press, 2001
- Histoire du droit islamique, Noël J. Coulson, Paris : PUF, 1995
- The formation of the Sunni schools of law, 9th-10th centuries C. E., Christopher Melchert, Leyde, New York, Köln : Brill, 1997
- Introduction au droit musulman, Joseph Schacht, Paris : Maisonneuve et Larose, 1999
- Les écoles de droit musulman , Claudio Monde, Université de Fribourg, 2009-2010 , Voir le site
- Les écoles juridiques du sunnisme , Laghmani Slim, Pouvoirs, 2003/1, 104, p. 21-31 , Voir le site