Sunnisme, chiisme et soufisme #article

Comment la peinture peut-elle devenir une métaphore mystique ?

Ce texte est issu de l’un des plus célèbres recueils de poèmes mystiques persans, écrit au XIIIe siècle par le fondateur de l’ordre soufi des Mevlevi, Jalal al-Din Roumi. Il tente d'y expliquer, par des métaphores et des histoires, la voie mystique des soufi, tel qu'il la conçoit.

« Histoire de la discussion entre les Byzantins et les Chinois sur l’art de peindre et de faire les portraits

Les Chinois disaient : « Nous sommes les meilleurs artistes » ; les Byzantins disaient : « C’est à nous qu’appartiennent le pouvoir et la perfection. »

« Je vous mettrai à l’épreuve en cette affaire, dit le sultan, et je verrai lequel de vous a raison dans cette prétention. »

Les Chinois et les Byzantins se mirent à discuter. Les Byzantins quittèrent le débat. Les Chinois dirent alors : « Attribuez-nous une certaine salle, et qu’il y en ait une pour eux aussi. »

Il y avait deux pièces, dont les portes se faisaient face : les Chinois prirent l’une, les Byzantins l’autre. Les Chinois prièrent le roi de leur donner cent couleurs ; le roi ouvrit son trésor afin qu’ils reçoivent ce qu’ils désiraient. Chaque matin, par sa libéralité, les couleurs étaient octroyées de son trésor aux Chinois.

Les Byzantins déclarèrent : « Aucune teinte ni couleur ne conviennent à notre travail. Il ne faut que retirer la rouille. » Ils fermèrent la porte et se mirent à polir : les murs devinrent clairs et purs comme le ciel.

Il y a un chemin de la bigarrure à l’absence de couleurs ; la couleur est semblable aux nuages, et l’absence de couleurs à la lune. Quelque lumière et splendeur que tu voies dans les nuages, sache qu’elle provient des étoiles, de la lune et du soleil.

Quand les Chinois eurent achevé leur tâche, de joie, ils se mirent à battre du tambour. Le roi entra et vit les peintures : cette vision, lorsqu’il l’aperçut, ravit ses esprits.

Ensuite il alla vers les Byzantins : ils retirèrent le rideau qui les séparait. Le reflet de ces peintures et œuvres d’art des Chinois vint frapper ces murs qui avaient été purifiés de toute souillure. Tout ce que le sultan avait vu [dans la salle des Chinois] semblait plus splendide ici : cela ravissait le regard. »

Jalal al-Din Roumi, Mathnavi, livre I, histoire 14 (tr. Eva de Vitray-Meyerovitch, Djamshid Mortazavi)

Le but de cette histoire est avant tout d’offrir au lecteur une morale spirituelle : afin d’atteindre Dieu, le mystique doit polir son cœur, jusqu’à ce qu’il reflète exactement toute la Création. Mais ce petit texte offre aussi aux historiens de nombreux éléments intéressants sur les conceptions sociales, artistiques et intellectuelles du XIIIe siècle, en particulier en ce qui regarde la peinture.

Partager cet article sur :