Sunnisme, chiisme et soufisme #article

En quoi consiste le kharijisme, la « troisième voie » de l’islam ?

Mosquée ibadite à Djerba (Tunisie) © akg-images / De Agostini / Archivio J. Lange
Les kharijites, littéralement les « sortants », constituent le premier mouvement religieux et politique de l’islam, né au cours des conflits qui déchirent la jeune communauté musulmane au lendemain de la mort de son prophète.

Naissance du kharijisme

Les premiers successeurs de Muhammad, les califes dits « bien guidés », sont élus parmi ses plus proches compagnons : Abou Bakr, Omar, Othman, Ali. C’est autour de ce dernier, à la fois gendre et cousin du Prophète, que la lutte se cristallise. Deux partis se forment, les uns le soutenant, d’autres refusant sa nomination et lui préférant un certain Moawiya, gouverneur de Syrie, qui accuse Ali d’avoir assassiné son prédécesseur. De cette grande division naissent, plus tard, les deux grands courants de l’islam que sont le chiisme et le sunnisme.

Et les kharijites ? Ce sont à l’origine des partisans de Ali ; mais lorsque celui-ci propose à ses adversaires un compromis au cours de la bataille de Siffin, en 657, ils ne peuvent l’accepter. En effet, ils refusent qu’un arbitrage humain soit donné au nom du Coran, puisque selon eux, seul Dieu peut donner la justice selon le Coran.

Les kharijites forment alors une secte violente et tuent Ali en 661, au sortir d’une mosquée. Paradoxalement, ils offrent ainsi le pouvoir à leur pire ennemi, Moawiya, qui met en place la première dynastie de l’islam, celle des Omeyyades.

Une doctrine politique et religieuse

Les croyances kharijites sont généralement considérées comme particulièrement rigoristes. Ils prônent une grande pureté morale et un respect absolu des règles religieuses. Si le croyant musulman n’observe pas strictement les prescriptions coraniques, il peut être considéré comme infidèle et éliminé physiquement. Elles sont aussi marquées par un idéal égalitaire : le chef de la communauté doit être le meilleur, « fût-il un esclave noir ». Cette dernière proposition va à l’encontre de toutes les autres doctrines politiques, les pouvoirs islamiques essayant le plus souvent de se légitimer par le sang, en se rattachant à la famille de Muhammad. Enfin, le chef de la communauté est immédiatement révocable, s’il commet la moindre faute.

Comme le chiisme et le sunnisme, le kharijisme s’est rapidement scindé en plusieurs branches. L’une d’entre elles, modérée, s’impose avec le temps, faisant progressivement disparaître la plupart des autres, plus brutales : c’est l’ibadisme, qui refuse toute violence si l’apaisement n’a pas d’abord été recherché, ainsi que toute violence par surprise. De ce fait, les ibadites ne considèrent pas l’assassinat de Ali comme légitime. L’ibadisme se rapproche sur certains points de doctrine du motazilisme, ou tendance « rationaliste » du sunnisme, en considérant par exemple que Dieu n’a pas d’« attributs » semblables à ceux de l’homme, mais qu’il est unique dans son essence.

Une place marginale ?

Plus apprécié dans les sphères populaires que dans les cercles du pouvoir, le kharijisme ne parvient quasiment jamais à un statut de religion officielle dans l’histoire. Parmi les dynastes du monde islamique, seuls les rois Rostamides, qui, au VIIIe siècle, gouvernent un petit royaume à l’ouest de l’Algérie actuelle, le professent. Il est par contre à l’origine de nombreuses révoltes, notamment en Irak et en Iran, dans les premiers siècles de l’islam. Des écrivains et des savants musulmans, parfois très bien en cour, étaient aussi des adeptes du kharijisme, comme Abou Oubayda. Ses contemporains disaient de ses étudiants qu’ils « achetaient des perles sur le marché au fumier » car le professeur, en accord avec ses principes, donnait ses cours dans des vêtements pauvres, à la propreté douteuse.

De nos jours, le kharijisme demeure marginal. Le sultanat d’Oman est le seul pays où les ibadites sont majoritaires (75%). Les berbères mozabites, qui vivent au cœur de l’Algérie, suivent aussi le rite ibadite. On en trouve également des communautés sur l’île de Djerba (Tunisie), en Libye ainsi que sur l’île de Zanzibar (Tanzanie).
Antoine Le Bail

Pour aller plus loin :

  • Political theory and institutions of the Khawārij, Elie Adib Salem, Baltimore : Johns Hopkins Press, 1956
  • Les États kharidjites au Maghreb, IIe-IVe siècles Hégire/VIIIe-Xe siècles après J.C., Abdelkader el-Ghali, Tunis : Centre de publication universitaire, 2003
  • Heterodoxy and culture, the legacy of the Khawarij in Islamic history, Jeffrey Thomas Kenney, Ann Arbor : U.M.I., 1991
  • Les kharidjites, démocrates de l'Islam, Nabhani Koribaa, Paris : Publisud, 1991
  • Les Ibadites de Djerba, Agnès de Féo, 2015, Voir le site

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